Des membres des jeunesses royalistes, rejoints par d’autres cortèges, ont manifesté mardi 25 février devant l’ambassade de France à Rabat. Une image rare, qui plus est au lendemain d’un appel de François Hollande au roi Mohammed VI pour attester de ” l’amitié constante ” de la France envers le Maroc. En quelques jours, le télescopage de deux dossiers différents a mis à mal des relations pourtant soigneusement entretenues par les deux pays. Un ” partenariat d’exception “, comme le vante Paris, qui a toujours surveillé jalousement ses intérêts stratégiques et commerciaux dans cet ancien protectorat, mais un partenariat aujourd’hui quelque peu écorné.
Le premier incident s’est déroulé le 18 février, lors de la présentation à Paris du documentaire Les Enfants des nuages, la dernière colonie, produit par l’acteur espagnol Javier Bardem. Très engagé aux côtés des partisans de l’autodétermination du Sahara occidental, territoire revendiqué par le Maroc depuis 1975, M. Bardem entend dénoncer le soutien de la France au Maroc à ce sujet, et attribue au représentant français à l’ONU, Gérard Araud, cette parole désabusée : ” Le Maroc est une maîtresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n’est pas particulièrement amoureux, mais qu’on doit défendre. ” Attribués par erreur à l’ambassadeur de France à Washington, François Delattre, ces propos, aujourd’hui contestés par M. Araud, font scandale à Rabat.
Le 20 février en début de soirée, sept policiers se présentent à la porte de la résidence de l’ambassadeur du Maroc à Paris afin de remettre une convocation au patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST, les renseignements marocains), Abdellatif Hammouchi, qui s’y trouvait quelques minutes plus tôt, en compagnie du ministre de l’intérieur marocain, Mohamed Hassad, pour une réunion avec ses homologues français, espagnol et portugais sur la coopération autour du détroit de Gibraltar. Deuxième entorse aux yeux de Rabat.
Visé par trois plaintes successives en France, M. Hammouchi est accusé de ” complicité de torture “. Le matin même du 20 février, deux plaintes avaient été déposées par Me Joseph Breham et l’organisation Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), pour actes de torture perpétrés contre Naama Asfari. L’une est envoyée au Comité de l’ONU contre la torture ; l’autre, pénale, à la doyenne des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris.
Naama Asfari, militant sahraoui, avait été condamné en 2013 par un tribunal militaire à trente ans d’emprisonnement sur la base d’aveux arrachés selon lui sous la torture, après avoir été interpellé par la police marocaine la veille du démantèlement, le 8 novembre 2010, du camp d’Agdim Izik, près d’El-Ayoun, dans le Sahara occidental. Les affrontements avaient alors fait onze morts parmi les policiers marocains, ainsi que deux morts et plusieurs dizaines de blessés chez les civils sahraouis.
Apprenant la présence sur le sol français de M. Hammouchi, l’ACAT dépose, dans l’après-midi même du 20 février, une troisième plainte pour M. Asfari auprès du pôle spécialisé contre les crimes contre l’humanité, sur le fondement de la compétence universelle (qui permet à la juridiction d’un Etat de poursuivre les auteurs de certains crimes, quel que soit le lieu où ils ont été commis).
Mais la convocation viendra d’ailleurs. Deux autres plaintes, sans aucun rapport, avaient également été déposées à Paris fin 2013 au nom de deux franco-marocains, Adil Lamtalsi et Mostafa Naïm, condamnés respectivement en 2008 et 2010, pour des affaires de stupéfiants et de droit commun. Les deux hommes, internés dans la prison de Temara, gérée par la DST, avaient tous deux affirmé y avoir été torturés. C’est donc finalement dans le cadre du dossier Lamtalsi que la juge d’instruction, alertée sur la présence de M. Hammouchi sur le sol français, a envoyé, trop tard, une convocation – au grand émoi des autorités marocaines.
Dans un communiqué sibyllin, le ministère des affaires étrangères français a évoqué un ” incident regrettable dans l’esprit d’amitié confiante qui lie la France et le Maroc “, avant que la querelle ne finisse par tourner à la crise diplomatique avec l’épisode Bardem. Rabat, qui n’entend pas en rester là, a annoncé, mercredi, la suspension des accords de coopération judiciaire entre les deux pays. Les prisonniers français détenus au Maroc et en attente de transfèrement pourraient pâtir de cette mesure, qui avait bénéficié, l’an passé, à Adil Lamtalsi et Mostafa Naïm
Le journal Le Monde: France et Maroc, un ” partenariat d’exception ” mis à mal
une photo qui reflète la crise entre Paris et Rabat