Salué pour son taux de croissance, son ouverture au tourisme et aux investisseurs étrangers, le Maroc n’en reste pas moins le pays d’Afrique du Nord où les inégalités entre citoyens sont les plus fortes. Un rapport intitulé « Un Maroc égalitaire, une taxation juste », publié lundi 29 avril par l’ONG Oxfam, plaide pour une fiscalité plus équitable et dresse par la même occasion un tableau précis et implacable des écarts de richesse au sein du royaume.
Le document rappelle qu’au cours des vingt dernières années, la croissance marocaine a été dynamique (4,4 % par an en moyenne entre 2000 et 2017), permettant une réduction considérable du taux de pauvreté, passé de 15,3 % en 2001 à 8,9 % en 2007 et à 4,8 % en 2014. Ces données, rappelle l’ONG, sont toutefois basées sur une approche uniquement monétaire de la pauvreté. Elles excluent d’autres facteurs tels que l’accès à la santé ou à l’éducation. Surtout, ce taux ignore les familles qui se situent juste au-dessus du seuil de pauvreté et sont susceptibles d’y tomber au moindre coup dur, ce que l’ONG nomme le « taux de vulnérabilité ». Or celui-ci concernerait un Marocain sur huit au niveau national, et près d’un sur cinq en milieu rural.
Les inégalités sont, elles, restées quasiment les mêmes. Le coefficient de Gini, une mesure internationale de calcul des inégalités, était de 39,9 en 1985 et de 39,5 en 2014. Une stabilité statistique qui est là encore à relativiser, prévient Oxfam, en raison de nombreuses limites méthodologiques : les dépenses à l’étranger ne sont pas comptabilisées, pas plus que l’épargne. En outre, les inégalités monétaires ne prennent pas en compte les inégalités de patrimoine. Autant d’observations qui laissent penser que les écarts sont encore plus importants que ne le disent les statistiques officielles.
Un système éducatif défaillant
Au cœur de la machine inégalitaire figure notamment le système éducatif. « Un système inclusif et égalitaire permettrait d’atténuer les disparités sociales et de gommer en partie les différences liées au milieu d’origine », rappelle le rapport. Or le Maroc a beau consacrer 21,5 % de son budget à ce secteur (bien plus que la moyenne de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, avec 13,9 %), son système éducatif est largement défaillant. La durée moyenne de scolarisation y est de 4,4 ans, soit deux années de moins que la moyenne des pays arabes. Et les résultats scolaires varient considérablement en fonction du milieu des élèves. Dans ce contexte, la privatisation massive de l’éducation, encouragée par les autorités, accentue la logique inégalitaire. On estime ainsi que 14 % des élèves marocains sont inscrits dans des écoles privées, et jusqu’à 80 % dans les grandes villes comme Casablanca et Rabat.
Ces inégalités liées à l’éducation se prolongent sur le marché du travail, avec quatre caractéristiques fortes : un chômage élevé des jeunes (42,8 % des 15-24 ans en 2017) ; le problème des « NEET », ces jeunes qui ne sont ni étudiants, ni employés, ni stagiaires (29,3 % des 15-24 ans, soit 2 millions) ; l’exclusion des femmes du marché du travail ; et la part prépondérante de l’informel et de l’emploi précaire (80 % des emplois sont informels). Les écarts de rémunération sont également frappants : « Alors que le SMIG est de 2 570 dirhams mensuels [environ 237 euros], il faudrait 154 ans à une personne à ce niveau de salaire pour gagner l’équivalent de l’augmentation de la fortune sur une année de l’un des milliardaires du Maroc », écrit Oxfam.