Le gouvernement marocain a eu recours à la justice universelle pour poursuivre les trois Marocains qui ont déposé des plaintes contre la DGST, l’organe des renseignements civils dirigé par Abdellatif Hammouchi, l’accusant de torture pendant leur détention au Maroc, chacun pour un motif différent. Le procès pourrait donner lieu à des développements inattendus si certaines associations internationales ayant déjà élaboré des rapports sur la torture au Maroc se mêlent de l’affaire.
Selon l’agence de presse marocaine officielle MAP, le ministre de l’Intérieur Mohammed Hassad a annoncé dans un communiqué officiel que le Maroc a déposé une plainte au tribunal de grande instance de Paris pour «dénonciations calomnieuses» contre Adil Mtalsi, Zakaria Moumni, et l’Association ” Action des Chrétiens pour l’ Abolition de la Torture “, qui avait porté plainte contre Hammouchi au nom de Mtalsi et Asfari. Le communiqué accuse l’ACAT de parti-pris flagrant et actif contre l’intégrité territoriale du Maroc.
Le communiqué fait l’éloge du rôle des services secrets marocains, puisqu’il dénonce une «instrumentalisation de la procédure judiciaire française» par les «auteurs de plaintes mettant en cause de hauts responsables marocains, pour des allégations de torture qu’ils savaient inexactes». Il ajoute que ces plaintes «dévoilent les motivations réelles de cette manipulation, à savoir la déstabilisation des organes de sécurité relevant du ministère de l’Intérieur, notamment la DGST, institution reconnue et estimée pour ses réalisations en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, dans le strict respect de l’Etat de droit ».
Le ministre de l’intérieur a chargé quatre avocats de déclencher sa poursuite (deux marocains Abdelkebir Tabih et Omar Taieb et deux français Ralph Boussier, Yves Repiquet)
Lorsque les trois plaintes avaient été déposées contre Hammouchi pour torture à Témara, la justice française a voulu interroger ce dernier, le 20 Février dernier, alors qu’il participait à Paris à une conférence sur la sécurité qui réunissait le Maroc, l’Espagne, la France et le Portugal.
Le Maroc avait jugé le procédé «suspect» et avait réagi en convoquant l’ambassadeur français à Rabat, puis a gelé l’application des accords judiciaires avec la France. De son côté, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius avait reconnu qu’il y avait eu un incident regrettable mais a rappelé que le pouvoir judiciaire était indépendant.
Un mois plus tard, lorsque le Maroc s’est aperçu que la justice française ne peut pas faire marche arrière et ne subit pas de pression de la part du gouvernement, il a décidé de contre-attaquer. Selon des experts, selon la logique judiciaire, puisque le Maroc a décidé de recourir à la justice française, il devrait accepter la poursuite contre Hammouchi, sauf s’il insiste sur sa souveraineté.
A ce stade, on peut se poser ces questions : le but de la poursuite enclenchée par le Maroc n’est-il pas de mettre fin au gel de la coopération judiciaire avec la France ? Si cette poursuite est acceptée par le parquet français, ce qui est très probable, le Maroc acceptera-t-il à son tour la poursuite contre son organe de renseignements ?
Dans le même temps, ces plaintes et contre-plaintes pourraient donner lieu à des rebondissements retentissants lors des procès, dans la mesure où Zakaria Moumni, en particulier, produira les rapports internationaux qui accusent le Maroc de pratiquer la torture et citent le centre de Témara où se situe le siège de la DGST.
Par ailleurs, le Maroc fait appel à la notion de justice universelle qu’il a refusée jusqu’à présent. Il aurait pu, comme les trois personnes sont de nationalité marocaine, recourir à la justice marocaine.