Le 13 aout 2014, le Washington Post fait état du refus d’un tribunal américain d’exécuter un jugement rendu par la justice marocaine dont un juge Texan estime, preuves à l’appui, qu’elle est non indépendante, car soumise au roi. Le mot « king » revient pas moins de quarante six (46) fois dans les attendus du jugement. Récit.
A regarder les images du coup d’envoi par Mohammed VI des prétendus forages pétroliers de Talsint, ce 23 août 2000, on comprend combien la cupidité peut inhiber la prudence la plus élémentaire.
Pour en voir de pareilles, il faut remonter au règne d’Hassan II, lorsque le défunt monarque inaugurait les barrages supposés irriguer un million d’hectares, et qui, en réalité, desservaient en priorité le gigantesque butin de terres agricoles sur lesquelles il avait fait main basse,
Mais au contraire de son géniteur qui tutoyait mètres cubes d’eau et kilowatts, le fils ne tutoyait que du vent, en cette journée torride de l’été 2000. En effet, le roi ne le sait pas encore, mais de pétrole il n’y en a point, dans ce bout de désert. Son discours euphorique du 20 aout 2000, tourne à la farce et le jeune roi est en train de commettre la première d’une longue série de bourdes.
L’occasion fait les larrons
L’aventure de Talsint commence par un délit d’initié. Abdallah Alaoui, cousin de Mohammed VI, Mohamed Benslimane, Othman Skiredj, frère du général d’aviation Boubker Skiredj, aide de camp de Mohammed VI et Abdou Saoud, consul honoraire du Maroc en Californie, tous actionnaires de « Medi Holding » ont vent du futur code des hydrocarbures. Le code n’est même pas encore voté que le quatuor, à la recherche de prospecteurs, prend langue avec « Skidmore Energy », une compagnie américaine dont les deux actionnaires sont John Paul DeJoria et Michael H. Gustin. Un Memorandum of understanding conclu en mars 2000, scelle la constitution, de la « Lone Star Energy ». Moyennant 12% du capital, les marocains de Medi Holding « neutraliseront » les administrations marocaines, assureront aide et protection des autorités et feront bénéficier la société de toutes les facilités (exonérations fiscales, régime préférentiel des changes…). Cerise sur le gâteau, les prospecteurs auront accès aux études géologiques, d’avant et après l’indépendance.
Dans la culture de la courtisanerie marocaine, on commence par jeter son dévolu sur un investisseur qu’on appâte avec le « parapluie » du pouvoir, la perspective de profits conséquents, avec à la clé, la promesse d’une inauguration en fanfare de son projet par le roi himself. Une fois l’investisseur ferré, « on » lui fait dégrossir le travail et transmettre son-savoir-faire et son carnet d’adresses, avant de le vider de sa substance par l’intimidation, ou la « superposition » de nouveaux partenaires, surgis des coulisses du palais royal. L’affaire de Talsint reproduit à l’identique ce scénario, maintes fois dénoncé.
Quand des cupides croisent des bonimenteurs
L’histoire qui a commencé au Texas au printemps 2000, s’y est achevée cet été. Pitoyablement pour notre pays. Entretemps, deux verdicts rendus par la justice texane façonnent la perception que les américains se font désormais du régime marocain.
Le premier, est un jugement en appel rendu en 2006. Il déboute les américains qui ont déposé une plainte contre Alaoui, Benslimane, Skiredj et Saoud, pour « escroquerie, blanchiment, association de malfaiteurs et aide et assistance à une entreprise terroriste ». Derrière leurs gesticulations juridiques, les américains tentent de dissimuler leurs propres turpitudes. Pour rentrer dans leurs frais, ils ont, en effet, facturé une mystérieuse technologie de prospection qui s’apparenterait à une célèbre escroquerie des années 1970, celle des « avions renifleurs. »
Mais à la décharge des yankees, il faut également souligner le comportement cynique et malhonnête de leurs partenaires locaux qui déploient le répertoire de manœuvres dont « on » est coutumier, pour les évincer du projet.
Août 2014. L’affaire de Talsint a depuis longtemps tourné au règlement de comptes. Le second verdict signe le refus de la justice texane d’entrer en matière dans l’application d’un jugement émis par la justice marocaine en 2009 et qui a condamné les américains à payer cent vingt-trois millions (123.000.000) de Dollars à leurs associés marocains.
Quarante-six fois, plutôt qu’une !
Ce n’est pas tant le verdict texan qui interpelle mais le ton sarcastique et accusateur qui renvoie nos juges à leurs études, avec des attendus accablants. C’est que huit ans séparent les deux jugements, au cours desquels les américains ont eu tout à loisir, d’observer comment la monarchie et ses servants enchaînent les affaires de corruption, s’en prennent aux libertés fondamentales et entravent l’application du droit. Le jugement texan en est une condamnation, avec cette phrase limpide :
« Un jugement étranger ne peut être reconnu au Texas, s’il émane d’un système aux procédures incompatibles avec le respect de la loi. »
A quarante-six reprises, le prononcé citera le mot king (roi), démontrant l’implication de celui-ci dans les méandres de cette affaire, comme cette tirade, page 23 :
« Compte tenu des antécédents du roi en terme de représailles, non seulement contre les juges qui lui déplaisent, mais aussi tous ceux qui mettent en cause sa version relative à son implication dans l’affaire Talsint, la Cour ne peut absolument pas concevoir que le président du tribunal qui a eu à juger cette affaire n’ait pas senti une pression énorme pour se ranger du côté marocain. En effet, le prince avait un intérêt économique et le comportement du roi suggère une forte préférence pour que DeJoria soit dépeint comme le fraudeur qui a trompé sa vigilance (sans quoi, le roi pourrait rétrospectivement apparaître comme malhonnête, incompétent ou les deux à la fois).»
Corruption, impunité, vengeance et « justice coup de téléphone »
Et comme on n’est jamais si bien dénoncé que par ses complices, c’est Taïeb Fassi-Fihri, alors ministre des affaires étrangères, qui va reconnaitre en mars 2011 au « Brookings Institute » à Washington qu’il y avait bien « une justice du coup de téléphone » dont « l’indépendance n’est pas encore une réalité ».
La page 20 du jugement ne laisse planer aucun doute sur le système judiciaire marocain :
« Tant le rapport de l’USAID, que les commentaires du ministre des Affaires étrangères, dépeignent un système dont les juges subissent d’énormes pressions qui les contraignent à rendre des verdicts conformes aux vœux de la famille royale et son entourage. Et ce sont les juges eux-mêmes, qui en ont apporté l’illustration la plus éclatante, le 6 octobre 2012, lorsqu’un millier d’entre eux a mené un sit-in devant la cour suprême, réclamant l’indépendance de la justice. »
L’auteur de l’article du Washington Post, Eugene Volokh, emprunte de larges extraits au rapport de l’USAID « Morocco Rule of Law report ». Il écrit :
« Il existe une perception largement répandue (parmi les citoyens marocains) que la corruption est tolérée, que les élites politiques et sécuritaires agissent en toute impunité, et que des mesures drastiques sont prises contre tous ceux qui voudraient défier le pouvoir »
Le 19 mai 2014, le prestigieux journal avait interpelé en ces termes, le Maroc sur l’affaire Ali Anouzla : « Il est évident que le monarque craint le journalisme libre qui soulève des questions gênantes sur sa gouvernance. Telle est la peur bleue des autocrates partout. Ils craignent une presse libre et un débat ouvert à même de saper leur légitimité. »
A Talsint, le désert a repris ses droits. Ne subsiste de cette lamentable aventure que quelques dalles de béton, rongées par l’érosion. Les yankees se sont remis de leur mésaventure marocaine. Leurs ex-partenaires marocains aussi. Quant à notre pays il continuera pour un temps à être régi de la même manière. Quant aux bénéfices de cet énième acte de prédation royale, je reprendrais les termes de cet éditorial du journal « Al Ittihad », publié au moment même où Mohammed VI paradait à Talsint :
« La nouvelle de la découverte de pétrole et de gaz nous réjouit : elle va nous fournir l’énergie de l’espoir et de l’optimisme. Cependant, ne nous berçons pas d’illusions : les nombreuses richesses dont Dieu a gratifié ce peuple ont été accaparées par une meute de prédateurs. Les Marocains ont-ils jamais profité des carrières de sable, des ressources halieutiques, des terres arables, des vastes plages et des forêts ? »