Trois ans après le déclenchement du M20F. Quelles perspectives? Rida Benotmane

20 Fevrier

Trois années se sont écoulées depuis le déclenchement des premières manifestations populaires du 20 février 201زPlus de 60 villes, villages et bourgades avaient répondu à l’appel lancé par les jeunes d’un mouvement inspiré par l’autre sursaut collectif voisin du peuple tunisien frère qui a conduit, un certain 14 janvier 2011, à la chute du régime répressif et policier de Benali.

Trois ans après le succès de sa révolution, le peuple tunisien vient de se doter de l’une des constitutions les plus démocratiques du continent, si ce n’est la plus démocratique. Ce résultat a été rendu possible lorsque les principales forces politiques du changement, à savoir les islamistes d’Annahda et la gauche anti-Benali, ont pris conscience de la nécessité du consensus et de la concertation comme seules véritables garanties pour l’édification de la démocratie. Les révolutionnaires tunisiens ont compris aussi qu’aucun compromis avec l’ancien régime ne permettrait une transition démocratique vers un pouvoir partagé, pour la simple raison qu’une dictature n’accepte jamais d’abandonner une partie de son autorité. La solution était alors d’imaginer un contre-pouvoir suffisamment puissant pour éjecter le dictateur et son entourage corrompu en dehors des rênes de la politique.
La responsabilité des forces d’opposition dans l’échec de la transition démocratique au Maroc
Au Maroc, l’échec de la transition démocratique ne peut être imputé au M20 février qui, somme toute, n’est qu’un mouvement de rue exprimant un ras-le-bol général. L’échec est plutôt à rechercher dans les positions des formations politiques d’opposition qui ont manqué le rendez-vous d’un pacte démocratique de substitution au régime en place. En Tunisie, les différentes factions de l’opposition ont travaillé ensemble durant une décennie au moins avant l’éclatement de la révolution et l’aboutissement du consensus actuel. C’est cette expérience commune qui a permis de gérer au mieux l’après Benali. Au Maroc, la situation est tout à fait différente. Les forces d’opposition au régime n’ont pas suffisamment muri le travail collectif pour être capable de présenter une alternative crédible au pouvoir actuel. C’est pourquoi, les contestations populaires qu’a connues le Maroc ont été perçues par ces oppositions comme un effet de mode éphémère. L’alliance fragile de leurs forces politiques aidant, le pouvoir n’aura aucun mal à récupérer une grande partie de la contestation. Le pouvoir savait, en effet, combien l’opposition était divisée. Il en a profité pour illustrer sa capacité à contenir intelligemment son « printemps », en paraissant aux yeux du monde comme un modèle de gestion des contestations populaires, un modèle se distinguant des scénarios syrien, égyptien ou libyen. Ainsi, le pouvoir récoltera les fruits de cinq mois de mobilisation populaire pour mettre en avant le Parti de la Justice et du Développement (PJD), une formation islamiste docile et sciemment mise à l’écart de l’action gouvernementale depuis sa création dans les années 90 du siècle dernier et dont l’opportunité avait sonné pour sauver le Palais d’un avenir incertain. Pour le régime, le PJD était le candidat idéal pour ce nouveau rôle car le parti véhiculait l’image d’une organisation vierge, aux mains propres connues pour son enthousiasme de lutter contre la corruption tout en s’inscrivant dans la tendance des partis islamistes light fraichement embarqués au pouvoir dans plusieurs Etats de la région.
Logique avec ses engagements, le Mouvement du 20 février appellera au boycott de la nouvelle constitution et des élections législatives qui s’en suivront en raison de leur caractère non démocratique. En dix jours seulement, les forces et les partis politiques ainsi qu’une une partie de la société civile acquis à la politique du Palais ont été invités à donner leurs avis sur le projet de constitution. A l’inverse, les principales forces politiques d’opposition au régime seront évidemment exclues de ses consultations.
Les faux espoirs
A la date de ce troisième anniversaire et contrairement aux affirmations de certaines élites cooptées par le pouvoir, le M20F n’est pas mort. La raison en est la suivante : les raisons de sa genèse sont toujours là. Certes, le mouvement ne mobilise plus autant comme à ses débuts, mais la protestation demeure permanente et plus ciblée. Régulièrement, des manifestations sont organisées par les coordinations du Mouvement dans différents endroits du pays (Rabat, Casablanca, Tanger, Taza, Agadir, etc…).
En continuant de porter le flambeau, les militants du Mouvement expriment leur opposition aux turpitudes du système politique. Ils expriment leur indignation face à une autorité qui s’est servie de leur mobilisation pour renforcer ces pouvoirs, et verrouiller les prérogatives de la monarchie. Fidèle à lui-même, le makhzen n’a pas rompu avec cette tradition consistant à renforcer ses pouvoirs à l’occasion de chaque réforme constitutionnelle. L’abime entre les promesses faites par le Roi lors du discours du 9 Mars 2011, annonçant monts et merveilles aux marocains par l’octroi d’une constitution démocratique et la réalité du texte constitutionnel tel qu’il a été adopté, en est la preuve irréfutable.
Entre autres, la mise en place d’un exécutif de l’ombre et la nomination de nouveaux ambassadeurs à la veille de la formation du gouvernement Benkirane révèle bien les intentions non-démocratiques du régime. Le Roi, s’octroie, par décret le pouvoir de nommer les hauts fonctionnaires aux postes les plus importants. Par ailleurs, en 2012, le Chef du gouvernement révèle au journal la Vie Economique, ses relations difficiles avec les conseillers du Roi. Il sera rappelé à l’ordre et contraint à présenter des excuses au Palais.
Un an plus tard, l’affaire du DanielGate révèle l’empiètement du cabinet royal sur les prorogatives du gouvernement en matière de politique pénale. Plus, la répression violente des manifestants est encore plus révélatrice dès lors qu’elle réprime l’exercice de droits reconnus par la Constitution et notamment le droit expressément prévu de manifester pacifiquement.

Rida Benotmane
Rida Benotmane

De même, au nom de la sacro-sainte stabilité, la lutte contre la corruption est reléguée aux calendes grecques alors qu’elle constituait le principal argument électoral de la campagne du PJD. En effet, en 2012, Benkirane annonce qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières. Donc pas de priorité pour la lutte contre la corruption et les détournements.
L’affaire des primes Mezouar/Bensouda révèle en ce sens l’absence de toute stratégie, chez ce nouveau gouvernement, en matière de lutte contre la corruption. Il semble plutôt opter pour la consécration de la politique de l’impunité. Les lanceurs d’alertes à l’origine de la révélation de cette affaire de détournement seront poursuivis devant la justice pour violation du secret professionnel !! Dans le même ordre d’idées, une cérémonie de Transparency Maroc justement proposée sur les lanceurs d’alerte sera interdite à Rabat durant l’année 2013.
En matière de politique judiciaire ou relevant de la justice, une recrudescence de procès politiques est constatée contre des journalistes et des militants de tous bords. L’affaire Anouzla et celle du site d’information Lakome en constitue l’épisode le plus emblématique. Le mémorandum sur la réforme de la Justice présenté par le Ministre de tutelle et approuvé par le Roi en juillet 2003 est contesté par les juges et les avocats pour les aspects relatifs aux statuts professionnels et au Pouvoir judiciaire.
Sur un plan plus général et concernant les couches les plus larges de la population, la situation sociale ne cesse de se dégrader par la hausse de la précarité, du chômage de masse, et les niveaux de pauvreté. En contrepoids, les situations de rentes, les passe-droits qui profitent directement aux détenteurs du Pouvoir n’ont jamais été en aussi bonne forme. Leurs nouveaux recentrages dits stratégiques, par les profits qu’ils octroient à ces privilégiés ne sont qu’un autre aspect de ce tableau de désolation…
Cette liste de constats et déceptions n’est pas exhaustive. Elle rappelle simplement que le chantier de l’édification de l’Etat de droit pour lequel le M20F a été conçu n’a jamais été autant d’actualité. Elle appelle aussi forcément à une nouvelle mobilisation unitaire. Cette fois-ci, les forces politiques d’opposition n’auront plus droit à l’erreur. C’est l’avenir du pays qui est en cause. Car, pour l’avenir, le Maroc sera démocratique ou ne le sera pas…

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