Le diplomate américain Christopher Ross, Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, dans le conflit au Sahara occidental, veut réussir là où son compatriote James Baker a échoué. Ross cherche une formule pour faire avancer les négociations et sortir de l’impasse un conflit de faible intensité et secondaire pour la communauté internationale, mais qui constitue néanmoins un facteur potentiel de déstabilisation et une menace pour la sécurité dans la région de la Méditerranée occidentale.
Ross veut à tout prix réunir directe et officiellement, autour de la table de négociations, les deux protagonistes du conflit, à savoir le gouvernement marocain et le Front Polisario. Ce ne serait pas la première fois que les deux parties se rencontrent, car ils l’ont fait régulièrement depuis le milieu des années 1990, mais cette fois-ci le diplomate tient à conférer à la rencontre un caractère officiel.
En fait, Christopher Ross a plusieurs objectifs. Amener d’abord le Front Polisario à sortir de l’ambiguïté qu’il utilise vis-à-vis de l’opinion publique internationale en parlant de la « République arabe sahraouie démocratique RASD». Ross voudrait que le Polisario apparaisse sous son vrai visage politique, celui d’un mouvement indépendantiste qui représente une frange importante de la population sahraouie et qui conteste au Maroc la souveraineté sur le Sahara occidental.
En deuxième lieu, Ross vise également à ce que le gouvernement marocain donne une légalité à sa rencontre avec l’autre partie au conflit, le Front Polisario. Pour cela, il doit cesser de traiter ce dernier de qualificatifs diffamatoires tels que «mercenaire», «groupuscule manipulé par Alger», «gang séparatiste» et autres termes insultants. Après tout, le Maroc et le Polisario sont considérés par les Nations Unies depuis le cessez-le feu proclamé dans la région en 1991, comme les deux parties en conflit.
La non-participation de l’Algérie et de la Mauritanie dans ces futures négociations directes parrainés par Ross, a ses avantages et ses inconvénients pour chacune de deux parties. Ainsi, la délégation marocaine peut traiter directement avec le Polisario, sans la crainte que les autorités d’Alger exercent une quelconque influence ou dictent dans les couloirs à leur «protégé» la conduite à tenir. Rabat de ce fait montrerait publiquement qu’elle accepte de négocier avec les représentants d’une partie importante de la population sahraouie qui conteste la souveraineté marocaine et veut l’autodétermination. Juridiquement, cela revient à admettre l’existence politique d’un mouvement qui aspire à l’indépendance, et qui a son prolongement naturel dans le territoire du Sahara occidental.
La formule des négociations directes, en l’absence de l’Algérie et de la Mauritanie, comporte aussi des avantages pour le Front Polisario, en particulier celui de la recherche d’une solution au conflit, à moyen et à long terme, qui soit fondée uniquement sur les intérêts de la population sahraouie, qu’elle soit résidente au Sahara ou dans les camps de Tindouf. Aux yeux du monde, les leaders du Polisario ne seront plus perçus comme de simples guérilleros mais en tant qu’«hommes d’Etat ».
Si le Maroc accepte le principe des négociations directes officielles, il admettra en même temps la légitimité de l’autre partie, le Front Polisario, qui à son tour doit se débarrasser de son bouclier protecteur, la RASD. Certains pays comme le Panama, le Paraguay et l’Ile Maurice ont retiré dernièrement leur reconnaissance diplomatique à la RASD, ce qui ne constitue en réalité ni un triomphe pour Rabat ni une défaite pour le Polisario. Il s’agit plutôt d’une mise en conformité avec la réalité telle qu’elle est reconnue par l’ONU. D’ailleurs, aucun de ces pays, ni ceux qui les ont précédés dans cette démarche, n’a retiré sa reconnaissance du Front Polisario, mais seulement de la RASD, qui est plutôt une fiction proclamée dans les camps de Tindouf, et qui a échoué à être acceptée par les organisations internationales, à l’exception de l’Union Africaine. De même, elle n’a pas pu arracher une reconnaissance d’aucun membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, ni de l’OCDE.
Le Front Polisario gagnerait en confiance et crédibilité auprès d’une population soumise à un exil lacérant, s’il acceptait les conséquences qui découlent de cette situation, et se débarrassait d’une «bureaucratie administrative», qui jouit de privilèges dont ne peut rêver le citoyen sahraoui ordinaire. Ce sera aussi l’occasion pour le Front d’ouvrir les vannes de la démocratisation et du rajeunissement de ses structures.
De son côté, le Maroc doit également faire son aggiornamento et accepter que le fait de gérer le territoire n’est pas suffisant pour gagner le cœur de ses habitants. Aucune formule de solution adoptée par les parties, maintenant ou dans l’avenir, ne sera viable que si elle emporte l’adhésion massive des populations concernées.
Les autres parties concernées directement ou indirectement, comme les États-Unis, l’Espagne, la France, l’Union Européenne, l’Algérie et la Mauritanie, peuvent soutenir ou non les accords qui seraient conclus entre Rabat et le Front Polisario, mais ces accords ne seront possibles toutefois que si la population elle-même les adopte.
En un mot, le conflit du Sahara a surtout besoin d’une bonne dose de confiance et d’enthousiasme. Malheureusement, les doses actuelles de ces ingrédients sont bien maigres.
Pedro Canales est un journaliste espagnol qui a travaillé longtemps comme correspondant en Algérie puis au Maroc de grands médias espagnols, dont El Pais et La Razon.
Traduction en Français : Ahmed Benseddik