Editorial : Que se passerait-il si le dossier du journaliste Bouachrine avait été soumis à une justice internationale impartiale ?

Le journaliste Taufik Bouachrine

La justice de  l’état du Maroc vient de prononcer  un jugement très sévère contre le journaliste Taoufik Bouachrine, fondateur du journal  arabophone « Akhbar Alyoum ». Ce verdict soulève beaucoup de questions parce que le procès a été entaché de nombreuses violations, ce qui justifie d’envisager l’internationalisation de ce dossier car dans un pays où tous les secteurs sont sous –développés il est impossible de rencontrer un appareil de justice honnête et  réellement impartial et qui respecte le droit et protège les droits des accusés.

Bouachrine avait été arrêté en février 2018 et tout de suite accusé e  viols et d’abus sexuels et de la traite des êtres humains. Dans la pratique, ces lourdes accusations contre une personnalité connue et  qui contribue à façonner l’opinion publique, requiert de  la police et de l’appareil judiciaire de l’Etat marocain un  maximum de respect des procédures judiciaires et des dispositions légales pendant les phases de l’enquête et de garantir les conditions d’un  procès équitable, ce qui, malheureusement, n’a pas été le cas,  laissant le champ ouvert  à toutes les suppositions et  interprétations , surtout qu’il s’agit d’un journaliste dont les articles ne sont pas toujours tendres avec le pouvoir politique du pays.

.La police n’a pas respecté l’ensemble des règles et procédures pour mettre en évidence les instruments de preuve des crimes présumés, à savoir les enregistrements vidéos et les empreintes digitales  et le parquet n’a pas respecté non plus une procédure simple qui consistait à le présenter d’abord  devant un juge d’instruction au lieu de décider d’emblée que le dossier était  prêt à être jugé puisqu’il s’agissait selon ce parquet d’un cas de flagrant délit. De même, et contrairement aux usages dans les pays qui respectent les conditions d’un procès équitable,  la Cour a  refusé de faire soumettre les enregistrements à des experts techniques pour vérifier l’identité des individus qui apparaissent dans ces enregistrements.

 En plus, la justice a violé les règles d’un  procès équitable en refusant d’ouvrir une enquête sur la manière dont ont été convoquées des citoyennes par la police pour se retrouver impliquées malgré elles dans ce dossier. L’une d’elles, Mlle Afaf Bernani,  s’est retrouvée condamnée à six mois de prison parce qu’elle a osé mettre en doute  la manière dont a été rédigé le procès  verbal de son interrogatoire par un officier de la police judiciaire. Est-ce que désormais les PVs  de la police judicaire sont aussi sacrés que le Coran dont personne ne discute l’authenticité ?

L’absence des conditions d’un procès équitable n’a pas fait du tort à Bouachrine tout seul mais aussi aux victimes présumées puisqu’elles n’ont pas eu l’opportunité de prouver devant la justice et l’opinion publique  la véracité des accusations portées contre l’accusé, surtout que certaines d’entre elles ont révélé avoir été obligées de porter des accusations contre Bouachrine.Tout cela conduit à un sentiment de  dégoût à l’égard du traitement policier et judiciaire du dossier Bouachrine, ce qui a incité  à la protestation  des politiciens comme l’ ancien Secrétaire général du Parti du Progrès et du Socialisme,  Ismail Alaoui, et le leader Itsiqlalien Mhamed Khalifa et des intellectuels de la trempe de Abdallah Hamoudi, professeur à l’université de Princeton. Tous ont exprimé leur solidarité avec Bouachrine et protesté contre ces procédés judiciaires expéditifs.

Taoufik Bouachrine est un journaliste qui a  un grand actif en matière de dénonciation de la grande  corruption dans le pays, comme l’autre journaliste Hamid Mahdaouy, qui croupit en prison sur la base  d’une  accusation fragile mais surréaliste. C’est ainsi que des journalistes Marocains qui veulent simplement  faire leur travail se retrouvent soudain soit exilés ou détenus afin que la grande corruption puisse continuer de sévir dans le pays sans être inquiétée ni dénoncée. L’Etat n’ a jamais ouvert d’enquête judiciaire sur les cas de malversation, d’abus de pouvoir ou d’escroquerie que ces journalistes ont révélé suite à leur investigations journalistiques.

Ne soyons  pas surpris que chaque fois qu’un coup est porté par les autorités  à la presse indépendante la corruption se porte mieux tout de suite après. Tout se passe comme si les Marocains vivent sous un régime d’’une nouvelle colonisation par des gens de l’intérieur du pays. Un des exemples de grande corruption est le cas des lots de terrains pour villas à Rabat octroyés à bas prix par l’Etat à un certain nombre de ses serviteurs zélés et obséquieux. Un autre exemple est celui du vol des minerais d’or par des voleurs en cravate sans scrupule. A chaque fois qu’un coup est porté aux médias indépendants le pays s’enfonce un peu plus vers l’abime  de la déchéance.

 Le Maroc est un pays qui recule  dans de nombreux secteurs et ne peut par conséquent disposer  d’un pouvoir judiciaire indépendant et irréprochable, surtout si l’on tient compte du rôle joué par  certains juges, pas tous, qui ,pendant les  années de plomb, ont vendu leur âme au diable.

Posons cette question : Pourquoi le Maroc arrive en tète des pays dont les citoyens demandent l’ asile politique en Europe et  l’obtiennent souvent ? Pourquoi les états européens refusent souvent de livrer au Maroc des Marocains arrêtés en Europe, y compris ceux soupçonnés de trafic de drogue ou d’actes de terrorisme? La réponse est simple : ils savent que la justice marocaine est soumise et instrumentalisée par le  pouvoir politique. Souvenons nous du cas du journaliste Ali Anouzla ( directeur du site Lakome devenu ensuite Lakome2) , qui a  subi  la vengeance des autorités par magistrature interposée  alors que le journaliste espagnol impliqué dans le même dossier a obtenu de la justice espagnols trois décisions de refus des  plaintes du gouvernement du Maroc qui voulait le poursuivre en Espagne.

L’Etat marocain prétend appartenir à la communauté  internationale et participer à ses multiples instances politiques, économiques ou militaires. Donc, pourquoi les citoyens marocains ne seraient-ils pas autorisés à soumettre leurs différends judiciaires avec l’Etat   à des  tribunaux internationaux marocains, cela permettra certainement à la justice Marocaine de s’améliorer et  cette idée ne viole nullement la souveraineté du pays car les pays démocratiques acceptent cette procédure sans complexe.

Répétons la même idée : un pays sous-développé  économiquement, politiquement,  socialement et scientifiquement ne peut en aucun cas devenir par miracle développé au niveau de sa justice. Sinon pourquoi les responsables Marocains s’adressent eux-mêmes à la justice française pour porter plainte contre d’autres marocains ? et pourquoi ils vont se soigner dans les hôpitaux et cliniques françaises.

Ne serait –il pas logique de permettre aux citoyens de bénéficier de la mondialisation de la justice ?

 La pire situation que vit un peuple c’est de se trouver exploité par une classe qui instrumentalise les appareils sécuritaire et  judiciaire pour camoufler ses actes de corruption et faire taire ceux qui revendiquent des réformes  politiques. C’est le cas du Maroc actuel qui vit une grande crise sociale et où les voix s’expriment de plus en plus sur Youtube  pour demander des comptes directement au roi et lui faire porter la responsabilité de la détérioration et où de plus en plus de jeunes et moins jeunes ne rêvent que de quitter le pays  par des moyens licites ou illicites dont les canots pneumatiques de la mort qui traversent la mer méditerranée.

 Sans vouloir blanchir totalement le journaliste Bouachrine, posons-nous cette question : Comment aurait été géré ce procès s’il avait été soumis à une juridiction internationale? La réponse semble claire.

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