La lignée est établie. Vingt-quatre ans après Notre ami le roi, le livre percutant de Gilles Perrault consacré à Hassan II et publié en 1990, Omar Brouksy prolonge le récit de la cour marocaine avec le portrait sans concession de son fils, Mohammed VI, hissé sur le trône en juillet 1999.
Gilles Perrault transmet le flambeau à l’auteur dans la préface : « Le royaume de Hassan II, c’était le château de Barbe-Bleue. En comparaison, celui de “M6” serait plutôt celui de la Belle au bois dormant avec en sous-sol la caverne d’Ali Baba. » Deux règnes, deux styles, mais une même amertume.
C’est peu dire que le portrait de l’actuel roi du Maroc dressé par Omar Brouksy est d’abord le fruit d’une immense déception. Surnommé le « roi des pauvres » après son accession du pouvoir, le souverain est aujourd’hui décrit comme le « roi en or massif » ou le « roi cash ».
Salué comme le visage moderne du royaume, il est resté un « intouchable », selon Omar Brouksy, un gardien des traditions jugées humiliantes, comme la rituelle cérémonie d’allégeance. « Le changement à l’espagnole » dont ont rêvé certains, résume l’auteur, n’est pas à l’ordre du jour.
TRAVAIL LONG ET RIGOUREUX
Journaliste talentueux, Omar Brouksy a lui-même éprouvé cette désillusion, d’abord comme rédacteur en chef du Journal hebdomadaire, puis au sein du bureau de l’AFP au Maroc.
Titre phare de la presse marocaine créé en 1997, le Journal hebdomadaire,qui se distinguait par ses enquêtes et ses révélations, a cessé de paraître, étouffé par les dettes et boycotté par les annonceurs, selon une stratégie bien rodée du pouvoir.
Puis, alors qu’il travaillait pour l’AFP, et malgré les protestations de l’agence, Omar Brouksy s’était vu retirer son accréditation.
Derrière les masques, le titre de ce livre n’est pas le produit d’une vengeance, mais un long travail rigoureux fondé sur des témoignages, loin des anecdotes « people ».
Avec une précision parfois glaçante, l’auteur décrit la prédation économique d’un roi « premier homme d’affaires au Maroc », présent dans tous les secteurs stratégiques du pays.
Colérique, inaccessible, le roi dans son palais gouverne avec une poignée de fidèles, ce qui donne lieu à un chapitre ravageur, sans doute le plus sidérant : « Le potentat et ses potes. »
Dans ce cercle restreint, écrit Omar Brouksy, « la lutte pour la proximité par rapport au roi engendre des relations qui peuvent aller de la servilité à la violence physique en passant par une tension permanente ».
Certes, les droits de l’homme ont fait quelques progrès par rapport au règne du père, mais Omar Brouksy décrit avec froideur la prison secrète contemporaine de Tamara, près de Rabat, ou la sous-traitance de la torture des prisonniers accusés de terrorisme et capturés par la CIA. Les réformes amorcées après le printemps arabe de 2011 n’y ont rien changé et la construction d’un Etat de droit reste ici, pour une large part, en chantier.
C’est bien là toute la déception marocaine.