La justice espagnole a interrogé le samedi 8 Février la Princesse Cristina, fille du roi Juan Carlos. Le juge d’instruction n’a pas hésité à la convoquer en raison de son implication présumée, en compagnie de son mari, dans une affaire de détournement de fonds publics et de fraude fiscale. La décision de la justice espagnole est une belle leçon pour de nombreux gouvernements et pour de nombreux juges dans le monde, et en particulier au Maroc où le gouvernement cherche tous les subterfuges possibles pour justifier la corruption sous toutes ses formes.
En Europe, y compris en Espagne, il y a toujours eu un point de vue selon lequel les princes sont au-dessus de la loi. Or, une fois que la Princesse a commis ce qui pourrait être un crime, en raison d’une évasion fiscale dont l’enjeu porte sur des centaines de milliers d’euros, elle s’est trouvée devant un appareil judiciaire non complaisant et un juge courageux nommé José Castro. Ce dernier a défié toutes les pressions que l’on peut imaginer et a convoqué la Princesse pour lui demander de s’assoir devant lui et de répondre à ses 400 questions. Le mari de la princesse risque une peine qui peut atteindre 12 ans de prison.
Les juristes s’accordent sur l’absence de preuves tangibles de la culpabilité de la Princesse. Cependant, l’existence de simples soupçons est suffisante pour que la clarification devienne une nécessité morale. C’est la seule et unique manière de prouver que tous les citoyens sont égaux devant la loi espagnole et que la famille royale espagnole ne vit pas au-dessus de la loi.
C’est à la justice espagnole, au final, de se prononcer sur la culpabilité ou non de la princesse. Néanmoins, quel que soit son verdict, cette justice a fait preuve de courage et d’audace qui forcent le respect. Ce courage soulève, côté Marocain, une question douloureuse : Pourquoi la justice marocaine ferme les yeux sur des crimes, en particulier des crimes financiers, commis par les puissants et les influents de ce pays ?
Les rapports nationaux et internationaux qui dénoncent le niveau alarmant de la corruption et de détournement d’argent au Maroc se succèdent, ainsi que les initiatives de la société civile pour la moralisation de la vie politique et la fin de l’impunité. Ces rapports et ces efforts se heurtent au silence royal. Le roi n’a jamais prononcé un discours solennel et ferme où il annonce que la lutte contre la corruption est un chantier majeur. Bien au contraire, il ne trouve aucun scrupule à nommer au poste de ministre un homme dont les citoyens exigent le jugement, parce qu’il a obtenu de l’argent de manière illégale. Ces mêmes rapports et ces mêmes efforts se heurtent aussi à la philosophie singulière et choquante du Chef du gouvernement, qui tolère la corruption et lui accorde un magnanime pardon, avec sa phrase « qu’Allah pardonne ce qui s’est passé » alors que personne ne l’a mandaté pour « passer l’éponge » ni pour pardonner à qui que ce soit. Quant au ministre de la Justice et des Libertés, il s’est distingué par ses silences à répétition devant des gros dossiers de corruption que des individus courageux et la société civile n’arrêtent pas de révéler. Au contraire, ceux qui dénoncent les dossiers où sont impliqués des personnes influentes sont souvent punis au lieu d’être remerciés.
D’aucuns n’hésiteront pas à justifier les différences d’approches par le fait que l’Espagne a fait des progrès sur le chemin de la démocratie, mais ce prétexte demeure fragile face à la philosophie et à l’esprit de la loi, qui exige son application égale à tous, surtout quand l’argent public est en jeu. La justice marocaine peut condamner sévèrement un jeune, qui vit peut être dans la misère, et qui dérobe des objets d’une voiture ou d’un domicile, et dont la valeur peut ne pas dépasser le seuil des cinq mille dirhams. Mais la même justice ferme allègrement et lâchement les yeux face à des responsables qui volent l’argent du peuple puis se retrouvent comme par enchantement récompensés par des portefeuilles ministériels.
Il ne coûterait rien au roi Mohammed VI de refuser de nommer au poste de ministre un homme politique soupçonné d’actes malveillants. Au contraire, le roi gagnerait en crédibilité et en estime. Il ne coûterait rien non plus au Chef de gouvernement marocain, s’il lève la tête légèrement et promène son regard vers les voisins du nord pour méditer leur approche de l’égalité des citoyens en face de la justice. De même, son ministre de la Justice et des Libertés serait inspiré de s’arrêter un moment sur l’audace morale du juge espagnol, qui a montré que le devoir de lutte contre la corruption est sacré plus que tous les individus, quel qu’en soit le rang ou le titre. L’Histoire retiendra que ce n’est pas en annonçant hâtivement et lâchement un pardon généralisé envers les corrompus, comme l’a fait le Chef de Gouvernement lors de sa tristement célèbre interview avec Al Jazeera durant l’été 2012, ni en arborant fièrement des cravates élégantes, que l’on mérite la stature d’homme d’Etat. La légitimité est d’abord une affaire de crédibilité, de probité et de rectitude morale, ce qui implique le devoir de respecter ses promesses tant claironnées, et respecter la loi.
En conclusion, cet épisode espagnol est une véritable leçon pour la monarchie du Maroc et son gouvernement, et constitue une motivation pour le peuple Marocain afin qu’il ne lâche pas le morceau et persiste à exiger que les corrompus, soient jugés. Tous les corrompus.