Dans une interview exclusive au Vif/L’Express, le “prince rouge” et cousin de Mohammed VI, Moulay Hicham el Alaoui, dénonce la perpétuation du Makhzen, le clan royal qui verrouille le débat politique et freine le développement économique.
Cousin du roi Mohammed VI, Moulay Hicham el Alaoui réfute le qualificatif de « prince rouge » mais il s’en accommode. Et pour cause, depuis les années 1990, il ne cesse de bousculer la monarchie marocaine avec ses idées de démocratisation. Dans son Journal d’un prince banni, qui paraît aux éditions Grasset, il rend un hommage posthume à Hassan II, homme machiavélique extrêmement violent, qui, au soir de sa vie, a pourtant consenti une ouverture contrôlée. Un mouvement que son successeur, l’actuel souverain, n’a pas poussé au bout de sa logique. La faute à un manque de volonté et au Makhzen, ce système entretenu par le roi et son entourage qui empêche la vitalité politique et le développement économique.
Des remous que ces critiques provoqueront, Moulay Hicham n’en a cure. « Je n’attends rien et n’espère rien de ce livre. Il m’a permis de dire ma vérité aux Marocains, je l’ai écrite pour eux et pour l’Histoire », assène celui qui se qualifie non de rebelle mais de révolté, pour avoir refusé le pacte faustien «Garde le silence et tu auras tout ce que tu veux ». Extraits de l’interview qui paraît cette semaine dans Le Vif/L’Express.
levif.be : En rendant une forme d’hommage politique posthume à Hassan II, ne réduisez-vous pas le rôle de Mohammed VI dans les avancées démocratiques du Maroc ?
Moulay Hicham el Alaoui : Non. Je dis que Hassan II pose les paramètres et que Mohammed VI utilise le langage mais il ne va pas au bout de sa logique.
Concernant l’histoire du pays, vous affirmez que la réponse appartient aux historiens. Quelle réponse aimeriez-vous néanmoins apporter à son examen de conscience ?
Ouvrir le système est très compliqué, parce qu’il faut le comprendre pour trouver un autre équilibre. C’est un exercice périlleux… Avec le printemps arabe, certains, au pouvoir, ont perçu le danger, mais il suffit que la contestation décroisse pour revenir aux anciennes pratiques. Une séquence historique s’est fermée au Maroc avec Hassan II… dans l’esprit des gens, pas dans les faits. Or l’alternative tarde à émerger. Le risque ? Tout peut surgir en cette période incertaine, y compris des « monstres ». C’est la contradiction du Maroc. Le système est à bout de souffle. Mais l’ouverture est périlleuse.
Mais inévitable ?
Je crois moins à une sortie vers le haut qu’à une solution venant du bas. Mais j’ignore quelle forme elle va prendre.
Les jeunes et les femmes peuvent-ils construire cet avenir ?
On ne sait pas comment les forces vont interagir. J’espère seulement que les jeunes vont apprendre de leurs erreurs du 20 février (NDLR : mouvement de contestation du 20 février 2011 dans la foulée des révolutions en Tunisie et en Egypte). Ils se sont comportés comme des militants mais sans vouloir se structurer. Par conséquent, au-delà de l’éruption, ils n’ont pas pu donner à leur mouvement une valeur pédagogique et toucher d’autres secteurs de la société qui étaient effrayés. Beaucoup savent un changement nécessaire. Mais ils en ont peur. Le consensus autour de la monarchie s’explique parce qu’elle est le marqueur identitaire de leur culture et de leur société. Mais c’est aussi, à leurs yeux, un garant contre une aventure. Paradoxalement, c’est cette conviction que la monarchie interprète comme un blanc-seing.
Pourriez-vous être un des leaders des jeunes du 20 février ?
Le Maroc a besoin de clarté. Pas de plus de confusion. C’est pour cela que j’ai toujours soutenu (le mouvement) mais je me suis interdit de m’immiscer en première ligne. Et la frontière est difficile.