« Journal d’un Prince banni » est le titre du livre récemment publié par le Prince Moulay Hicham, cousin du roi du Maroc Mohammed VI. La thèse principale du livre est que le Maroc ne peut pas accomplir de vrais progrès au Maroc tant que le pouvoir est caractérisé par la coexistence d’une autorité traditionnelle appelée le makhzen avec les structures d’un Etat moderne.
Edité par la maison Grasset, ce livre de 380 pages est disponible dans les librairies françaises depuis mercredi 9 avril. Il a bien attiré l’attention des médias français dans la mesure où le magazine Le Nouvel Observateur lui a consacré trois pages, Le Monde lui a consacré une interview, alors que la chaine France 24 a invité l’auteur à trois entretiens : en arabe, en anglais et en français.
Le livre comprend de nombreux détails sur la Monarchie Marocaine, qui est considérée comme l’une des plus anciennes du monde. Le Prince y décrit sa relation avec son père le Prince Abdallah, l’influence de sa mère la Princesse Lamia Solh, et sa relation complexe, où se mélange l’admiration et la tension, avec son oncle le roi Hassan II, qu’il décrit comme un grand homme politique. Il évoque aussi sa relation avec l’actuel roi Mohammed VI, depuis l’enfance partagée à la rupture pour divergence politique. Le Prince affirme à cet égard qu’il a préféré se retirer du Palais et se libérer de ses traditions pour recouvrer sa liberté d’exprimer ses pensées et ses convictions.
Si une partie des données révélés par le Prince au sujet de la monarchie marocaine et les monarchies arabes attirent l’attention du lecteur, le plus important apport du livre est sa vision de la nature de l’autorité au Maroc et dans quelles mesure elle contribue ou non au progrès du pays.
À cet égard, Alifpost relève que la thèse principale du livre traite du grand dilemme dans lequel vit le Maroc, à savoir la coexistence d’un Pouvoir traditionnel hérité des siècles passés et chargé de traditions archaïques, avec un autre moderne inspiré de l’Ouest, en particulier depuis la colonisation du Maroc en 1912 par la France et l’Espagne .
Le livre prétend qu’il est impossible d’envisager un progrès au Maroc tant que le sommet de l’autorité maintient cette double nature du Pouvoir et utilise à sa guise l’une ou l’autre selon les circonstances et les caprices du moment, d’autant plus que les structures de l’Etat moderne demeurent soumises à l’institution du Makhzen. Le livre esquisse une explication de la façon dont cette ambivalence a été gérée par les rois du Maroc depuis l’indépendance à ce jour, à savoir les rois Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI.
Après l’indépendance en 1956, une partie du mouvement national qui a eu un grand rôle dans l’expulsion des colonisateurs français et espagnols, a voulu contrôler l’Etat et dominer l’Institution royale pour éliminer le Makhzen, mais le Roi Mohammed V a réussi à maintenir l’influence de ce dernier. Il était prudent et a gardé la dualité Etat moderne-Etat traditionnel. Auréolé du symbole de Père de la Nation, il est resté au-dessus des clivages politiques.
Le long règne d’Hassan II occupe une part importante du livre. L’auteur le qualifie de génie politique et divise ce règne en trois étape: une première phase d’affirmation de soi allant de 1961 à 1965, pendant laquelle Hassan II a montré des inclinations vers le règne absolu, à l’image des rois de France dans le passé. La deuxième phase (allant de 1965, année des événements de Casablanca, à 1990) est marquée par l’autoritarisme absolu, ce sont les années de plomb. Cette période a vu des moments singuliers comme la marche verte, qui a renforcé la légitimité de la monarchie. C’est aussi l’époque de la marocanisation de l’économie, qui a contribué à l’élargissement de la base clientéliste du régime grâce aux privilèges accordés à l’élite économique et politique. Cette période a également vu le début embryonnaire du multipartisme.
La troisième phase, qui retient l’attention de l’auteur, s’étale de 1990 à la mort en 1999 du roi Hassan II, qui devait gérer deux défis majeurs : le dossier des droits de l’homme et les conséquences de la chute du mur de Berlin, dont la perte par le Maroc d’une partie de son importance géostratégique. Hassan II a dû manœuvrer pour opérer un début d’ouverture politique, ce qui a donné lieu au processus d’alternance qui a permis à certains partis de l’opposition de participer au gouvernement. Cependant, cette alternance fut limitée et a même renforcé l’institution Makhzénienne à laquelle sont demeurées soumises les structures modernes de l’Etat.
A propos de l’ère actuelle du roi Mohammed VI, le prince affirme que les marocains avaient nourri beaucoup d’espoir lors de son accession au trône. Ils pensaient qu’il allait consolider l’État moderne et jeter le Makhzen par-dessus bord. Au fil des années, ce rêve s’est évaporé et c’est la logique de continuité qui a prévalu. Le choix démocratique a été marginalisé lors de la nomination en 2002 d’un technocrate proche du Palais au poste de Premier ministre.
Lors du retour en 2007 à la logique du gouvernement politique, avec Abbas El Fassi, le Maroc a connu une prolifération de commissions royales et de hautes instances, ne laissant au gouvernement que de maigres prérogatives. Le mot d’ordre est la monarchie exécutive qui se préoccupe du développement. L’engagement politique est devenu une sorte d’aventure entrepreneuriale. Le Roi a failli donner le coup de grâce au champ partisan lorsqu’il a voulu créer un parti proche du Palais, le PAM (Parti de l’Authenticité et de la Modernité), mais la surprise est venue du côté du Printemps arabe, qui a conduit à la tête du Gouvernement le Parti de la Justice et du Développement.
Cette nouvelle version de l’alternance a été imposée par les circonstances politiques et par la ratification d’une nouvelle Constitution qui ne consacre pas un Etat moderne et ne garantit pas une véritable séparation des pouvoirs.
Le Prince rappelle aussi que si le Maroc occupe des classements très bas dans l’économie, la politique et le développement, c’est que les politiques suivies n’ont pas réussi. A cause de la monarchie, le pays n’a pas réussi à rendre le Pouvoir moderne plus fort que le Pouvoir traditionnel du Makhzen. Ainsi, les abus, les manigances et les archaïsmes de ce dernier empêchent le décollage économique et politique au Maroc.