Au Maroc, l’année 2014 peut être considérée comme celle du nécessaire traitement politique et sécuritaire de la problématique du retour de la «quatrième vague de djihadistes marocains ». Il est en effet forte probable que des combattants marocains proches d’Al-Qaïda, partis en Syrie pour lutter contre le régime de Bachar al-Assad, le Hezbollah chiite et l’Iran, retournent au pays, ce qui ne manquera pas de poser un défi aux services sécuritaires et organes judiciaires. Le choix est difficile entre l’approche des arrestations massives et celle, plus intelligente, qui consiste à engager un dialogue politique par l’entremise des cheikhs de la mouvance salafiste.
Depuis l’indépendance, un certain nombre de Marocains se sont enrôlés dans les mouvements de libération et les mouvements armés. Dans les années soixante et soixante-dix du siècle dernier, la « mode » consistait à rejoindre les rangs des organisations Palestiniennes, alors qu’un très petit nombre a choisi les guérillas l’Amérique centrale, dont la mission était plutôt de nature médicale.
C’est l’invasion soviétique de l’Afghanistan qui a provoqué l’engagement massif de jeunes marocains dans les combats armés, dans le cadre du « jihad mondial » sous la supervision du wahhabisme saoudien. La première vague de «djihadistes marocains » a quitté le pays, avec la bénédiction du régime du roi Hassan II et de ses proches, dont en particulier le Docteur Abdelkrim Al Khatib. Cette participation avait reçu un très bon accueil des États-Unis sous le président Ronald Reagan.
Après l’effondrement de l’Union soviétique, une grande partie des djihadistes marocains sont rentrés au Maroc, où le pouvoir n’a pas hésité à les encourager à lutter contre certaines organisations, en particulier la Jamaa Justice et Bienfaisance. Cette époque était marquée par la pénétration de la culture wahhabite dans la société marocaine.
La deuxième vague de retour des «djihadistes marocains » a eu lieu après la fin du conflit en Bosnie-Herzégovine, auquel avaient participé des combattants partis du Maroc en vue de combattre les Serbes, mais leur nombre était faible par rapport à ceux d’Afghanistan.
La troisième vague de « djihadistes marocains » est née après les attentats terroristes du 11 Septembre aux États-Unis, où un certain nombre de combattants sont partis en Afghanistan pour lutter contre les forces occidentales, notamment Américaines. La nouveauté est que des membres de la communauté marocaine en Europe ont fait partie de cette vague, alors qu’auparavant ils se contentaient de fournir une aide financière.
La participation des Marocains dans la lutte contre les forces américaines en Irak fait partie de cette troisième. C’est là qu’ils vont acquérir la maitrise des techniques des voitures piégées et des attentats suicides.
Le conflit en Syrie constitue la quatrième vague de « djihadistes marocains ». Leur nombre est assez élevé et certains occupent des positions de commandement. On y trouve des jeunes des villes occupées Ceuta et Melilla, dont la plupart ont effectué le service militaire dans l’armée espagnole, occasion d’apprendre les techniques de combats à l’occidentale.
En fait, la Maroc n’a pas vraiment souffert directement de ses « djihadistes » à leur retour. Ils ne se sont impliqués ni dans les attentats terroristes à Casablanca, ni dans ceux du 11 Mars à Madrid. À partir de la troisième vague, les services de sécurité marocains ont parié sur «la guerre préventive contre le terrorisme», en procédant à l’arrestation des suspects.
Le contexte du moment avait favorisé ces arrestations parce que le monde vivait au diapason de la guerre contre le terrorisme. En conséquence, les violations des droits de l’homme au Maroc et dans le monde passaient quasi-inaperçues.
Concernant la quatrième vague, il semblerait qu’un accord russo-américain sera appliqué en 2014 pour mettre fin aux combats en Syrie. La conférence de Genève 2 pourrait ouvrir la voie à une trêve, ce qui pourrait signifier le retour des combattants marocains au Maroc.
Ce retour constitue un grand défi pour les organes sécuritaires et judiciaire, car l’État aura beaucoup de mal à répéter le scénario des arrestations tous azimuts de 2003-2007, puisqu’au moment du départ en Syrie des combattants marocains, il a fermé les yeux, comme le reste des pays occidentaux.
Dans l’ensemble, aucune implication des « djihadistes marocains » qui sont retournés au Maroc n’a été constatée directement dans les attentats-suicides au Maroc, mais ils provoquent des tensions sociales graves parfois. Il est donc peu probable qu’ils s’aventurent dans des attentats au Maroc, après leur retour. Mais la réalité et la logique sécuritaire imposent la plus grande prudence, d’autant plus que certains d’entre eux sont convaincus que toute la société marocaine est impie sauf les salafistes :
Dans ces conditions, l’État peut se trouver contraint de solliciter les leaders de la doctrine salafiste au Maroc, tels que Haddouchi, Fizazi, Kettani et Abou Hafs, afin de jouer le rôle de soupape de sécurité et engager le dialogue avec les revenants, en vue de les assimiler politiquement et socialement, à moins que le scénario des arrestations massives ne soit reconduit.