L’impact de la condamnation du Maroc par le Parlement européen sur l’avenir des relations entre Rabat et l’UE

UE

Le 19 janvier 2023, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant la situation des droits de l’homme au Maroc, faisant notamment référence au cas des journalistes emprisonnés. Cette résolution n’est pas considérée comme contraignante dans la pratique, mais elle a un impact inquiétant sur les relations bilatérales entre les deux parties, notamment sur la question du Sahara.

Dans ce contexte, les députés ont vivement critiqué le Maroc pour la détérioration de la liberté de la presse au Maroc et la tentative de Rabat d’influencer les députés européens (par la corruption) dans le cadre du “Marocgate”. Le résultat du vote a été très significatif : 356 voix pour, seulement 32 contre et 42 abstentions. Le texte souligne “la responsabilité des autorités marocaines de respecter la liberté d’expression et la liberté des médias” et “d’assurer des conditions de procès équitables aux journalistes détenus et de cesser de fabriquer de fausses accusations sexuelles”.

La résolution parlementaire s’est concentrée sur trois cas qui ont attiré une grande attention de l’opinion publique nationale et internationale : Taoufik Bouachrine, ancien directeur du journal Akhbar Al Yaoum, condamné à 15 ans de prison pour « viol sexuel », Omar Radi, journaliste d’investigation condamné à six ans pour espionnage et viol, et Suleiman Raissouni, directeur du journal Akhbar Al Yaoum et condamné à cinq ans de prison pour tentative de viol. La recommandation portait sur le reste des détenus, y compris les détenus du mouvement de protestation du Rif,  dirigé par Nasser Zefzafi.

Après le vote de la résolution, les réactions à propos de son interprétation ont varié. La plupart des Européens ont salué la résolution, considérant que si 356 voix ont voté pour, ce résultat ne peut être obtenu sans l’approbation d’un certain nombre de gouvernements européens. Les Européens interprètent le vote comme un signal d’alarme au Maroc pour qu’il mette fin aux violations des droits de l’homme, y compris l’usage des accusations  sexuelles pour harceler les journalistes, et pour mettre fin à son activité d’espionnage, car la résolution  européenne comprenait une recommandation pour cesser de vendre des logiciels espions au Maroc. À la lumière du silence du gouvernement marocain et de l’absence de déclaration officielle, le discours marocain, qui s’est exprimé à travers des associations, des partis politiques et même le parlement, se concentre sur le fait que la position européenne relève de la restriction imposée au Maroc et à sa souveraineté parce qu’il aurait commencé à se libérer de la dépendance européenne en tissant des partenariats avec Israël, les États-Unis et la Chine, puis à classer la résolution dans le registre du reflexe colonial. L’accent a surtout été mis sur la France, puisque la réaction de certains analystes proches de la version officielle est allée accuser Paris d’être à l’origine de ce résultat en raison de la crise bilatérale qui secoue toujours la relation entre les deux pays. Dans le même temps, des voix des défenseurs droits de l’Homme ont considéré la résolution comme le résultat des actions des actions des autorités marocaines et ont estimé que Rabat devrait prendre en compte le contenu du vote et cesser de commettre des violations des droits de l’homme. La position du Parlement européen doit être acceptée, car le Maroc fait partie de la communauté internationale et ne vit pas sur une île isolée. Par ailleurs, l’Union européenne est le principal partenaire économique et politique du Maroc et la relation doit être emprunte du dialogue. Ces voix soulignent que la position du Parlement européen sur les journalistes détenus et d’autres personnes est la même que celle exprimée par le Département d’État américain, les Nations Unies et un certain nombre d’associations internationales de défense des droits de l’homme telles qu’Amnesty International, ce qui indique qu’il existe un consensus quasi international sur les violations des droits de l’homme au Maroc.

Dans l’ensemble, la décision du Parlement européen marque un tournant dans les relations entre le Maroc et ce grand groupement car elle a des implications inquiétantes pour les relations futures. Il suffit de mentionner qu’il s’agit de la première condamnation fermement formulée par le Parlement européen contre le Maroc au cours des vingt-cinq dernières années, en ce sens qu’il s’agit de la première condamnation sous le règne du roi Mohammed VI, alors que les résolutions précédentes étaient à l’époque du roi Hassan II. Le journal français Le Monde a décrit le vote parlementaire comme une « petite révolution » dans un article publié vendredi cette semaine parce que le parlement condamne pour la première fois le Maroc en matière de droits de l’Homme depuis plus de deux décennies.

À ce propos, la résolution est moralement plutôt que matériellement contraignante, mais une recommandation de cette ampleur qui crée un précédent aura un impact sur les relations avec le Maroc, pour les raisons suivantes:

En premier lieu, les gouvernements européens ne peuvent ignorer le Parlement européen, bien qu’il ne soit pas contraignant, d’autant plus que le vote est venu des courants de  la droite sous toutes ses variations et de la gauche dans toutes ses variations. Parmi les exemples, le Parlement européen a voté pour empêcher les ventes d’armes à certains pays arabes en raison de la guerre au Yémen, et un certain nombre de pays ont déjà gelé la vente de beaucoup d’équipements militaires aux Émirats arabes unis et à l’Arabie saoudite.

Deuxièmement, tous les accords signés par l’UE avec des pays tiers sont soumis à un vote du Parlement européen. À la lumière de cette résolution, le Parlement européen conditionnera la ratification de toutes les conventions à la mesure dans laquelle le Maroc respecte et respectera les recommandations contenues dans la résolution, en particulier celles des droits de l’Homme. Le Parlement européen a déjà  annulé l’accord de pêche à cause du dossier du Sahara, et maintenant le dossier des droits de l’homme vient s’ajouter.

Troisièmement, il deviendra difficile pour le Maroc de convaincre le Parlement européen d’appuyer  la proposition d’autonomie comme solution au conflit du Sahara, une solution que le Maroc veut imposer comme alternative au référendum d’autodétermination. Le résolution  compliquera davantage la tâche du Maroc non seulement pour convaincre le Parlement européen sur le Sahara, mais aussi pour convaincre les gouvernements européens. Il est inquiétant de constater que cette décision mettra l’Espagne dans une position très délicate et l’amènera peut-être à modérer, bien que modestement, son soutien à la solution d’autonomie,  au sein des institutions européennes. Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a réaffirmé que  les résolutions de l’ONU sont la solution au conflit du Sahara aux Nations Unies en septembre dernier, lors de l’Assemblée générale, et n’a fait aucune mention du plan d’autonomie prôné par le Maroc. On attendra la nature de la référence au Sahara dans le communiqué final du sommet Maroco-espagnol au début du mois de février prochain. Afin de faire du sommet entre Rabat et Madrid un succès et de sauver les relations bilatérales, Sánchez a été contraint de demander à ses députés au Parlement européen de voter contre la résolution condamnant le Maroc au motif qu’il n’était pas d’accord sur certains éléments de la déclaration et non sur la déclaration dans son intégralité, et 17 députés du Parti socialiste espagnol ont donc voté contre la résolution à l’exception du chef du groupe

Sur la question du Sahara, le haut-commissaire à la politique étrangère et de sécurité européenne Josep Borrell a évité d’approuver l’autonomie à Rabat lors de sa visite il y a trois semaines. On peut conclure que le Maroc a perdu des années d’efforts pour promouvoir une solution d’autonomie après cette résolution, ce qui constitue un vrai tournant..

En quatrième lieu, le Maroc avait l’un des lobbies les plus importants au sein des institutions de l’Union européenne pour défendre ses intérêts, mais son implication présumée dans la corruption de certains parlementaires, dont certains sont en détention, lui fait perdre les services de ces lobbies, surtout à la lumière de la proposition d’une autre recommandation qui empêcherait les hauts fonctionnaires marocains d’entrer au Parlement européen pour défendre les intérêts de Rabat.

Pendant ce temps, le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a dénoncé l’existence d’une campagne médiatique et politique de certaines minorités contre le Maroc, mais le résultat du vote parlementaire souligne le niveau élevé de rejet européen de certaines des politiques marocaines en matière de droits de l’Homme. On s’attend à ce que l’État marocain réagisse à cette nouveauté, d’autant plus qu’il menace depuis des années, d’opérer un  changement géopolitique en pariant sur de nouvelles puissances comme la Chine, mais ce changement ne s’est pas produit. D’autre part, il y a des voix au Maroc qui exigent que la véritable réponse au Parlement européen doit être  le respect des droits de l’homme par les autorités du Maroc.

 

 

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