Un visa et Zakaria, 28 ans, a dit au revoir au Maroc. En juillet 2018, cet ingénieur informatique, qui travaillait à Capgemini à Casablanca, est parti pour Paris et une banque française. « Salarié au Maroc, je payais 40 % d’impôt pour toucher 7 000 dirhams net mensuels [665 euros]. En France, je suis payé 44 000 euros par an, mon pouvoir d’achat a nettement augmenté pour assurer le même travail », détaille-t-il.
Depuis son arrivée en France, il a déjà été augmenté deux fois, a bénéficié de formations internes payées par son entreprise afin de devenir référent sur un logiciel spécifique. « Je n’aurai jamais eu accès à tout cela au Maroc », résume le jeune homme, dont les deux tiers de ses anciens collaborateurs sont aussi arrivés en France.
Missions plus qualifiées, meilleur management, accès à un meilleur service public en matière de santé et d’éducation ont été aussi des facteurs de départ de Zakaria comme pour bien d’autres. « Le contexte actuel, avec les peines d’emprisonnement pour avoir exprimé son opinion sur les réseaux sociaux, ne donne pas envie de revenir. Tout comme la corruption ou le fait qu’au Maroc, il faut venir du bon milieu pour avoir des postes intéressants. L’ascension sociale n’existe pas », estime le jeune ingénieur.
Lors d’une visite à Rabat, le vendredi 31 janvier, le ministre français de l’économie, Bruno Le Maire, a annoncé une nouvelle coopération franco-marocaine dans les nouvelles technologies pour « éviter la fuite des cerveaux ». L’annonce a été faite avec ses homologues marocains, alors que 600 ingénieurs quittent le royaume chaque année pour travailler à l’étranger. Beaucoup sont développeurs mobile, architectes système ou consultant en big data et partent principalement vers la France.
« Je veux booster ma carrière »
« Notre voix a enfin été entendue », se réjouit Saloua Karkri-Belkeziz, présidente de la Fédération marocaine des technologies de l’information et des télécommunications (Apebi), qui lutte depuis 2017 pour garder les talents au Maroc. Pourtant, elle reste inquiète que « la fuite continue » et rappelle que « plusieurs entreprises ont annoncé un taux de rotation salariale de 30 % en 2019. Un chiffre qui a doublé en cinq ou six ans ».
En fait, les ingénieurs marocains sont directement recrutés à Casablanca lors de campagnes organisées dans les salles de conférence des grands hôtels de la capitale économique. Ce samedi, assis sur des chaises molletonnées, une vingtaine de jeunes femmes et hommes sont concentrés sur un test de français. La première épreuve d’une longue journée d’examens et d’entretiens. A la clé, un potentiel CDI dans une société de services et d’ingénierie en informatique en France.
Comme d’autres, la société Sintegra organise ces recrutements presque toutes les semaines au Maroc, mais aussi en Tunisie. Sa promesse : « Permettre à tous les ingénieurs maghrébins talentueux de pouvoir acquérir une expérience professionnelle solide en France. » Abdelilah, ingénieur, s’est présenté à l’une de ces sessions de recrutement car il ne se sent pas assez valorisé au Maroc. « Je veux booster ma carrière avec des missions plus qualifiées », ambitionne le jeune Marocain, qui se voit déjà déménager de l’autre côté de la Méditerranée.
En fait, les sociétés françaises sont intéressées par les jeunes talents marocains qui ont une bonne connaissance de la langue et de la culture françaises. « Nos étudiants sont rapidement opérationnels en entreprise », se targue Amine Zniber, directeur de l’école Supinfo de Casablanca, dont plus de 60 % des lauréats travaillent à l’étranger, et surtout en France. « Nos programmes sont en permanence réajustés en fonction des avancées technologiques », précise-t-il.
Développer de grands projets
Des profils qui attirent face au manque de compétences dans l’Hexagone. « Beaucoup de projets se développent avec la politique d’Emmanuel Macron dont le numérique est le cheval de bataille. Ces recrutements se sont aussi accélérés avec le visa French Tech qui permet d’avoir des papiers en très peu de temps », analyse Saloua Karkri-Belkeziz, de l’Apebi.
Pénurie de personnel qualifié en informatique, turnover important, perte de temps à recruter, à former… Au Maroc, les dommages collatéraux sont nombreux. Pourtant, les besoins des entreprises marocaines augmentent avec la volonté de numérisation de l’administration. « Des efforts doivent être faits. Il ne suffit pas de recruter les ingénieurs informaticiens. Il faut les garder, en étant plus attractif et en améliorant la gestion du capital humain », estime Amine Zniber, selon qui une prise de conscience est en marche.
Pour Saloua Karkri-Belkeziz, la solution réside dans la formation. « Nous travaillons sur un projet de reconversion des jeunes diplômés scientifique avec l’Anapec [Pôle emploi marocain], pour former 500 étudiants par région, soit 6 000 par an. Je pense que cela va déstresser le marché du travail, explique-t-elle, optimiste. Au niveau des universités, nous discutons avec le ministère pour former davantage, augmenter les filières dans le digital et orienter les jeunes dès le bac. » « L’Etat doit aussi retenir les jeunes talents avec le développement de grands projets comme l’intelligence artificielle », continue Saloua Karkri-Belkeziz. A voir si des projets seront concrétisés lors de la visite d’Etat d’Emmanuel Macron prévue au printemps.