La visite du roi Mohamed VI à la Tunisie vu par le journal Le Monde

Le président tunisien Moncef Marzouki et le roi du Maroc Mohammed VI

Le roi du Maroc en visite dans la Tunisie révolutionnaire/Isabelle Mandraud

Première visite officielle dans le pays frondeur du monde arabe. Mohammed VI a achevé, dimanche 1er juin, un périple de trois jours en Tunisie, au cours duquel le roi du Maroc, arrivé en grande pompe avec une dizaine de ministres et 90 hommes d’affaire, a salué en terme mesuré la« nouvelle Tunisie » et l’adoption de sa « Constitution avancée ». Il aura tout de même fallu attendre plus de trois ans après le soulèvement tunisien et la chute de l’ancien régime de Zine El-Abidine Ben Ali, pour que le souverain chérifien rende la politesse à son hôte, le président tunisien Moncef Marzouki qui s’était rendu au Maroc dès février 2012, trois mois après son arrivée au palais de Carthage.

Ni les cérémonies du premier anniversaire de la révolution en janvier 2012, ni celles, en février, consacrées à la nouvelle Constitution tunisienne, n’avaient décidé Mohammed VI à faire le déplacement, malgré la présence dans les deux cas de nombreux chefs d’Etat. Bousculé lui-même en 2011 par un mouvement de contestation dit du « 20-Février », le roi avait dû réagir en réformant la Constitution marocaine, quelque peu éclipsée depuis par la version tunisienne, et en organisant des élections législatives anticipées, remportées par les islamistes du Parti de la justice et du développement. Ces étapes franchies et le calme revenu, le Maroc, depuis, n’a cessé de vanter son « modèle » opposé à la brouillonne Tunisie.

« VENGEANCE »

Un « modèle » contesté samedi par plusieurs associations tunisiennes, dont la Ligue des droits de l’homme, réunies dans une coalition civile pour la défense et la liberté d’expression. Dans un communiqué publié samedi, le collectif dénonce la « multiplication des procès contre les militants et les activistes des droits de l’homme et une dégradation inquiétante des libertés » au Maroc et réclame « la libération de dizaines de jeunes activistes du Mouvement du 20-Février encore en détention ».

Selon l’Asdhom (association marocaine de défense des droits de l’homme au Maroc), plusieurs dizaines de personnes seraient en effet incarcérés ou en attente de jugement sous le coup de diverses accusations. « Cela va de l’ébriété sur la voie publique au marché noir, en passant par des manifestations non autorisées ou des violences contre fonctionnaires, car à chaque fois, les flics ramènent des certificats médicaux. Résultat : plusieurs procès qui avaient été classés ont abouti en appel à des peines de prison ferme, la vengeance est avérée », affirme Omar Radi, membre du Mouvement du 20-Février aujourd’hui quasi disparu. « C’est la première fois, ajoute-t-il, qu’un chef d’Etat arabe est ainsi contesté dans un autre pays. »

« BLOCAGE »

Cette protestation limitée n’a cependant pas perturbé la visite royale. Dans un discours prononcé samedi à Tunis devant l’Assemblée nationale constituante, Mohammed VI a surtout mis l’accent sur l’Union du Maghreb arabe (UMA), organisation politique et économique formée en 1989 par les cinq pays du Maghreb (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie) mais restée depuis lors dans les cartons du fait du différend algéro-marocain sur le Sahara occidental. Ce « blocage regrettable, a souligné le roi, fait obstacle à l’exploitation optimale des richesses et des potentialités que recèlent les pays maghrebins. Pis encore, il hypothèque l’avenir de notre région. »

L’UMA, a-t-il poursuivi, « n’est plus un choix facultatif ou un luxe politique (…), elle est devenue une revendication populaire pressante ». En froid avec l’Algérie, le Maroc cherche à consolider sa position dans la région. Vingt-trois accords de coopération ont été signés avec la Tunisie dans des domaines aussi variés que les énergies renouvelables, les marchés financiers ou la sécurité. A l’issue de ses entretiens avec le président Marzouki et le premier ministre Mehdi Jomaa, le roi a également reçu la veuve et le fils du syndicaliste Farhat Hached, une figure de l’indépendance tunisienne assassinée en 1952, ainsi Béji Caïd Essebsi, chef du file du parti Nidaa Tounès. Aucune rencontre n’avait été prévue avec les islamistes du parti Ennhada.

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