Chaque fois qu’il y a un changement au niveau des institutions politiques et de gouvernance en Algérie ou au Maroc, en particulier en Algérie, la sempiternelle question de la normalisation des relations bilatérales revient sur le tapis et avec elle celle des chances de sortir ces relations de l’impasse dans laquelle elles sont embourbées depuis plus d’un quart de siècle.
Parler de normalisation algéro-marocaine, c’est comme parler d’un rapprochement entre la Corée du Nord et son voisin du sud, ou entre l’Amérique et l’Iran. Cela signifie que les divergences (pas nécessairement leur profondeur) sont enracinées dans les institutions de gouvernance des deux pays et qu’il y a une incapacité à les résoudre. La région a aujourd’hui besoin d’une audace politique sans précédent, disons un miracle, qui brisera une fois pour tous les différends algéro-marocains et rétablira les relations dans une situation normale et cordiale entre deux voisins qui partagent plus de facteurs d’union que de facteurs de division.
Après les élections du 12 décembre 2019, le sujet des relations algéro-marocaines et les chances de les réformer est revenu à l’actualité algérienne alors que l’Algérie entamait une nouvelle ère, du moins sur le plan du symbole, après l’éviction du président déchu Abdelaziz Bouteflika.
Cette fois-ci, et contrairement aux changements précédents, les optimistes ne sont pas allés loin dans leur optimisme et les pessimistes avaient raison de demeurer pessimistes, alors que les réalistes avaient raison dans leur réalisme. Les expériences passées nous ont appris que rien ne peut être espéré en termes de relations avec le Maroc avec le nouveau président Abdelmajid Teboun.
Le problème n’est pas celui de Mr Teboun, ni celui de l’Algérie seulement. Nous sommes en présence d’une voie à double sens, deux sens uniques. Un aspect du problème est d nature psychologique: les régimes des deux pays, en raison de la longue période de la rupture et l’accumulation de sentiments de rejet et de mépris mutuel, sont devenus otages de de leurs croyances et leurs ressentiments l’un envers l’autre. Comme celui qui crée pour lui-même une illusion, vit avec pendant longtemps et finit par croire cette illusion.
La situation de normalisation avec cette hostilité silencieuse a conduit à la conviction de chaque partie qu’elle peut vivre sans l’autre, et qu’il sera mieux si elle abandonne son voisin et qu’il sera plus heureux sans lui.
Cependant, cette croyance, en plus d’être totalement fausse, est le reflet d’une pensée politique déficiente et irréaliste dans la mesure où elle fait l’impasse sur tout ce que la région et ses peuples perdent sur les plans économique, sécuritaire et stratégique, en raison de cette hostilité non justifiée entre les dirigeants des deux pays.
Par conséquent, avant de parler de normalisation politique, diplomatique et autre, les dirigeants des deux pays ont besoin d’efforts de réhabilitation psychologique pour se débarrasser du “syndrome algérien” pour les Marocains, et du “syndrome du Maroc” pour les Algériens.
Cette hostilité ne s’est pas arrêtée aux politiciens dont les positions et les devoirs imposent des attitudes et des déclarations non positives, mais elle s’est étendue aux « élites », aux « intellectuels » et aux professionnels des médias qui auraient dû aborder de façon réaliste ce que la région est devenue en raison de l’hostilité mutuelle, mais ils sont tombés dans le piège et ont encouragé l’hostilité et l’animosité.
Au Maroc, l’hostilité à l’Égard de l’Algérie est devenue un gagne-pain pour une catégorie d'”intellectuels” et de politiciens, alors qu’en Algérie, l’hostilité envers le Maroc est devenue une doctrine de survie pour de nombreux hommes politiques, « intellectuels » et membres de la société civile.
Dans chacun des deux pays, des personnalités et des organes reçoivent des salaires et des avantages pour répandre l’hostilité et même la haine envers le pays voisin.
Cependant, et malgré la fermeture des frontières , tout cela n’a pas réussi à pousser les deux peuples à se détester, la preuve est que lors des rares occasions où les gens simples d’un côté ou de l’autre ont pu exprimer leurs sentiments envers le voisin au-delà des frontières, ils l’ont fait avec une émotion et une chaleur plus authentiques que tous les discours des politiciens depuis des décennies.
Le problème du Sahara et du Polisario n’est pas le nœud du problème, il n’en est que la partie visible. L’animosité est plus ancienne et plus ancrée. La question du Sahara n’est que le prétexte derrière lequel les faucons des deux pays se cachent pour maintenir leurs discours.
Quelle est alors l’issue?
Je n’encourage pas de fonder beaucoup d’espoirs sur l’action du nouveau président Teboun, parce qu’il est lui-même le produit du système politique qui a tout fait pour semer la haine du Maroc chez les Algériens du Maroc.
Même si sa déclaration lors de la dernière campagne électorale selon laquelle il attendait des excuses du Maroc à propos de la crise de 1994 ne visait que la consommation électorale interne, elle reflètent en fait une mentalité politique qui s’est bien développée et s’est transmise de génération en génération de dirigeants politiques.
Je n’encourage pas non plus de compter sur le roi Mohammed VI du Maroc parce que la chose politique n’est pas sa tasse de thé même quand il s’agit d’affaires intérieures, et encore moins de questions régionales et internationales, sans compter qu’il semble résigné à la rupture avec l’Algérie et à la douceur de vivre sans elle. Il n’y a pas d’espoir non plus à attendre de son entourage, politiciens et conseillers parce qu’ils sont dociles et appartiennent à une génération qui représente l’autre face du régime algérien.
J’en appelle à la société civile des deux pays, et aux intellectuels dont l’esprit n’est pas entaché par la haine politique et l’absurdité, à préserver leur immunité contre la propagande médiatique des deux régimes et contre l’influence des hordes d'”intellectuels” qui ont fait de l’hostilité à l’autre un métier.
La société civile, à condition qu’elle soit libre, mûre et sincère, peut jouer des rôles positifs, qui peuvent sembler simples et inutiles, mais rappelons-nous que la rivière n’est qu’un ensemble de gouttes d’eau.
Rappelez-vous les millions d’Algériens qui ont visité le Maroc quand c’était possible, et rêvent maintenant de le revisiter. Regardez les milliers de Marocains qui travaillent aujourd’hui dans l’artisanat, la construction et la décoration dans les villes et même les villages algériens.
Rappelons que l’ancien député britannique George Galloway, paria dans son pays, a réussi avec un minimum d’efforts et de persuasion à faire ouvrir deux fois la frontière algéro-marocaine, la première en 2002 à la tête d’un convoi de secours vers l’Irak, et la deuxième au début de 2009 quand il a conduit un autre convoi de secours à destination de la bande de Gaza.
Si un homme, étranger à la région, a réussi avec un peu d’effort et d’entêtement , à briser la glace, sûrement la tâche ne sera pas impossible pour les nationaux des deux pays, s’ils sont lucides, fidèles et loyaux vis à vis de leur pays respectifs et vis à vis de l’idée du Maghreb .