Malgré la férocité de la guerre russo-ukrainienne, une grande partie de l’opinion publique international, notamment en Europe et en Afrique, s’intéresse aux développements du coup d’État au Niger, car il ouvrira un autre conflit inattendu, qui se terminera inévitablement par la balkanisation de la région du Sahel avec tous ses risques géopolitiques en termes d’instabilité puis de conflit entre les puissances. Le monde n’a jamais été aussi préoccupé par un coup d’État militaire dans un pays africain considéré jusqu’à présent comme marginal, mais beaucoup de gens ne faisaient pas de différence entre ce pays et le Nigeria en raison de la proximité des deux noms. Du coup, le coup d’Etat survenu le 27 juillet, pour mettre en évidence le rôle de ce pays dans la fourniture d’uranium à un certain nombre de pays, dont les centrales nucléaires françaises, et ce coup d’Etat est venu souligner qu’un nouveau monde multipolaire connaitra inévitablement davantage de conflits régionaux. et l’implication des grandes puissances.
En pratique, le monde multipolaire vit conflits régionaux qui peuvent se transformer en guerres ouvertes en cas d’implication accrue des grandes puissances. Voilà que Moscou menace l’Europe, et même l’ensemble de l’Alliance atlantique, de conséquences désastreuses si elles continuent de soutenir inconditionnellement et sans limite l’Ukraine, dans l’espoir d’épuiser les capacités économiques et militaires de la Russie.
Ce qui se passe en Libye, au Soudan et même au Yémen est une manifestation de ces conflits considérés comme le carburant d’un monde multipolaire, même si ces conflits prennent un caractère local, c’est-à-dire des guerres entre différents acteurs dans un même pays.
Ce qui se passe au Niger est un nouveau témoin du système mondial émergent, car ce conflit a pour effet de diviser le système international, en raison du pari des grands pays sur l’une des deux solutions radicales : la première est la restauration de ce qu’on peut appeler la « légitimité », c’est-à-dire le retour du président Bazoum à la présidence, et la seconde consiste à d’accorder à l’armée putschiste une période de transition afin de stabiliser la situation
Le danger ne provient pas de la position occidentale soutenant le président isolé et en faveur d’une intervention militaire, la France soutient largement cette proposition, non par attachement à la démocratie, mais plutôt pour maintenir son contrôle continu sur un pays qui lui fournit de l’uranium pour faire fonctionner ses centrales nucléaires qui produisent de l’électricité, au moment où l’Europe veut renoncer au gaz russe.
Le danger ne vient pas non plus de la position russe ou chinoise qui soutienne le coup d’État militaire d’une manière ou d’une autre, car il convient au souhait de Pékin et de Moscou d’expulser l’Occident d’une région qui acquiert un statut géopolitique en raison de ses minerais.
Le danger réside dans la possibilité d’une confrontation militaire régionale, qui transformerait le Sahel en un cocktail explosif, à l’image de ce que fut l’Asie du Sud-Est entre les années 1950 et 1970, c’est-à-dire depuis le déclenchement de la guerre de Corée jusqu’au Vietnam, qui a entraîné l’implication des pays de toute la région et causé des millions de victimes.
Ainsi, dans un précédent du genre, un groupe de pays, à savoir la Communauté économique ouest-africaine (CEDEAO), menace, sans soutien continental de l’Union Africaine, ni international de la part des Nations Unies, d’annoncer une intervention militaire pour rétablir la démocratie au Niger. . Ces pays ont à leur tête le Nigeria, qui a un poids économique, militaire et humain important, tandis que le Mali et le Burkina Faso ont déclaré se tenir aux côtés du Niger dans le ca d’un affrontement militaire. C’est le pire scénario que puisse connaître l’Afrique de l’Ouest et la région du Sahel, et il pourrait avoir de graves répercussions sur les pays d’Afrique du Nord, comme le Maroc, et principalement l’Algérie et la Libye, en raison des frontières communes avec certains pays qui seraient en guerre. Ces pays surveillent la situation avec beaucoup de prudence, en particulier l’Algérie, qui estime que ce conflit peut menacer son unité territoriale au sud, comme cela aurait pu être le cas avec le conflit libyen il y a des quelques années. Parmi les graves répercussions au cas où la situation s’écarterait de la solution politique au profit de l’option militaire on peut citer :
-D’abord, les pays d’Afrique de l’Ouest ne disposent pas d’une puissance militaire suffisante pour intervenir militairement au Niger, en particulier dans une région désertique qui manque de routes, d’aéroports et d’infrastructures minimales nécessaires pour offrir des conditions logistiques convenables. Des pays comme la Côte d’Ivoire, le Libéria, la Gambie et la Guinée-Bissau sont militairement limités en termes d’armement et de formation, et la CEDEAO aura donc besoin du soutien des grandes puissances, si bien que la Russie, la Chine et l’Occident voudront exploiter ce besoin pour soutenir l’un ou l’autre camp pour atteindre leurs propres objectifs et non ceux de la région.
– Deuxièmement, l’intervention militaire conduira inévitablement à l’extension du conflit au reste des pays concernés par l’émergence de mouvements armés ayant des revendications ethniques ou religieuses, sachant que la région n’a pas réussi à éliminer les succursales idéologiques d’Al-Qaïda et de Daech. Le Niger partage des frontières avec le Nigéria où se déploie le mouvement Boko Haram, avec le Mali où les groupes extrémistes ne manquent pas, avec un Tchad instable, une Libye divisée et une Algérie qui craint le chaos.
-Troisièmement, en lien avec le point précédent, la généralisation des affrontements conduira à l’émergence de nouvelles entités, et la région connaîtra une véritable balkanisation politico-militaire qui se traduira par une nouvelle carte pour toute la région.
Globalement, la balkanisation de la région semble être la cible principale de certaines grandes puissances, en particulier l’Occident, qui est habitué à faire et défaire les cartes des pays dans plusieurs régions du monde, et la dernière tentative de Paris et de Londres, qui ont un grand passif historique à cet égard, a été en Libye, où, voulant exploiter le printemps arabe pour diviser le pays en deux parties afin de contrôler les sources de pétrole. Un certain nombre de capitales occidentales soutiennent que certains États n’auraient jamais dû être autorisés à être vastes et tentaculaires, mais plutôt petits et faciles à contrôler. Ainsi la crise du Niger est un précurseur de la balkanisation du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest.