Boudé dans son pays, Moncef Slaoui devenu le « M. vaccin » de Donald Trump

Le président Donald Trump et Moncef Slaoui, chercheur en immunologie et biologie moléculaire, le 15 mai, à la Maison Blanche. DREW ANGERER / AFP

Rendez-vous téléphonique est donné à 5 h 30, heure de Washington. L’homme dort peu, se réveille avant l’aube pour faire du sport. Et travailler en même temps, bien sûr. Il se rend ensuite à son bureau, dans la capitale américaine, où le président Trump en personne lui a confié une mission : trouver un vaccin contre le Covid-19. Rien que ça. Moncef Slaoui adopte un ton modeste, presque retenu : « C’était impossible de dire non. » Le 15 mai, dans la roseraie de la Maison Blanche, il s’est donc engagé à livrer plusieurs centaines de millions de doses du futur antidote d’ici à la fin de l’année.

Comment ce chercheur millionnaire de 60 ans, originaire de Casablanca, au Maroc, et passionné de biologie depuis les bancs de l’école, a-t-il été propulsé à la tête de cette opération de grande envergure menée conjointement avec l’armée américaine ? « Je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer », assure le spécialiste en immunologie et biologie moléculaire, que ses confrères décrivent comme « un grand optimiste ».

Quatorze vaccins au compteur

Né à Agadir, il grandit à Casablanca et étudie au lycée Mohammed-V, un établissement public alors prestigieux. Amoureux des sciences naturelles et marqué par le décès de sa sœur, victime de la coqueluche, il souhaite étudier la médecine en France. « Pour des raisons accidentelles, je me suis retrouvé en biologie à l’Université libre de Bruxelles », sourit Moncef Slaoui, avec dans la voix une pointe d’accent belge, trace des vingt-six années passées là-bas.

Après un post-doctorat à Harvard, il devient professeur dans une faculté de médecine en Belgique, puis rejoint le géant mondial de l’industrie pharmaceutique GlaxoSmithKline (GSK), où il dirige jusqu’en 2017 la division des vaccins. Au fil de sa carrière, il participe au développement de quatorze vaccins, dont celui contre le cancer de l’utérus, qui a contribué à sa renommée mondiale. En 2016, le chercheur, qui a entre-temps acquis les nationalités belge et américaine, apparaît dans le classement des 50 personnalités les plus influentes du monde établi par le magazine économique américain Fortune. Et donne son nom à un centre pour la recherche de vaccins à Rockville, dans le Maryland.

Au Maroc, son pays d’origine et de cœur, où « l’ancrage reste très fort », sa notoriété ne séduit pourtant pas les autorités scientifiques : « Je n’ai jamais été sollicité pour y aider à créer quoi que ce soit dans le domaine de la recherche. Quand j’étais chez GSK, j’ai visité quelques laboratoires et des centres à Casablanca et Ben Guerir, mais il n’y a jamais eu de suite. Les pays qui n’ont pas des budgets importants pour la recherche, comme le Maroc, ont pourtant tout intérêt à créer des opportunités de collaboration. » D’autres nations du monde arabe ont saisi l’occasion, comme le Qatar, où le docteur Slaoui a siégé dans plusieurs conseils administratifs. « C’est dommage, j’avais envie d’aider mon pays à titre bénévole », poursuit Moncef Slaoui.

Au milieu des années 1980, celui qui a milité durant sa jeunesse dans les rangs de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM) a pourtant tenté de poursuivre ses travaux de recherche dans son pays. En vain. « J’ai enseigné bénévolement pendant trois ans, puis ils ont décidé d’arrêter la collaboration sans que je sache vraiment pourquoi. Je me rappelle avoir été frustré, car cela n’intéressait personne. »

« Le potentiel du Maroc est quasi nul »

Le docteur en biologie moléculaire Kamal El Messaoudi se souvient de ces espoirs déçus : « Moncef Slaoui ne cessait de répéter qu’il ne voulait pas de leur argent, mais seulement faire profiter son pays de la biologie moléculaire, une science importante pour la santé publique. Plusieurs années après, tous ses rêves de retour se sont évanouis et il a été contraint à l’exil, comme beaucoup d’autres qui ont choisi cette voie », témoigne l’ancien camarade d’études sur sa page Facebook.

Si le Maroc a depuis fait des progrès en recherche et développement, les investissements y restent faibles et les partenariats avec le secteur privé trop peu développés. Le budget alloué à la recherche scientifique y a récemment atteint 0,8 % du PIB, contre 0,36 % en 2016, mais reste loin derrière la moyenne de 2,4 % des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). « Ce sont avant tout les procédures d’engagement de ce financement qui posent vraiment problème », avait admis en 2019 le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Saaïd Amzazi. Alors que la qualité de l’enseignement public, secoué par de multiples réformes sans résultats, se dégrade, de plus en plus de chercheurs, ingénieurs ou médecins hautement qualifiés quittent le pays.

Moncef Slaoui, lui, ne rentrera plus. « Nous avons des talents exceptionnels qui se trouvent aujourd’hui à l’étranger et probablement aussi dans le pays. Mais il faut être réaliste : le potentiel compétitif du Maroc dans la recherche fondamentale, comme d’autres pays africains, est quasi nul », estime-t-il. Le chercheur, qui a désormais la lourde tâche de mener la course au vaccin contre le coronavirus, affirme pourtant vouloir continuer d’essayer d’aider son pays et de stimuler les talents de demain. A condition que le Maroc lui en donne les moyens.

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