A la une Contributions Calcul. Et si les élections de 2016 avaient été réformées

A l’approche des élections législatives de 2021, les divergences partisanes autour du quotient électoral persistent. Si le calcul de ce mécanisme est aujourd’hui basé sur le nombre de bulletins valides, plusieurs partis politiques plaident pour un mode de calcul basé sur le nombre d’inscrits. Un changement qui, sans doute, influencera le schéma politique et la configuration de la Chambre des représentants. A la demande de TelQuel, Tafra a fait l’exercice d’imaginer les conséquences d’une telle réforme sur les résultats des élections législatives de 2016.

Introduction

A quelques mois des échéances électorales législatives et locales, les discussions sur le découpage électoral et le mode de scrutin refont surface. A raison d’ailleurs, puisqu’une modification des règles du jeu peut profondément changer la configuration du parlement et l’équilibre des forces politiques qui y siègent. Mais s’il n’est pas étonnant que chaque parti défende les règles qui lui assurent un maximum d’impact, les débats qui en résultent peuvent sembler inintelligibles. Aujourd’hui, l’on discute de changer la manière dont on définit le quotient électoral dans le cadre du scrutin proportionnel utilisé lors des élections législatives.  A la demande du Magazine Telquel, nous avons fait le calcul pour mesurer l’impact potentiel d’une telle réforme.

Quotient électoral et scrutin proportionnel, des explications

D’abord, le scrutin proportionnel, que l’on utilise au Maroc lors des élections législatives. Dans ce mode de scrutin, l’objectif est d’allouer des sièges au parlement. L’idée est que l’on alloue des sièges proportionnellement au nombre de voix obtenues. Un parti qui obtient 30% des voix obtiendrait ainsi 30% des sièges. Si l’idée est simple, la pratique est plus compliquée. En effet, il y a un petit nombre de sièges (généralement 2 ou 3 par circonscription), et on ne peut pas allouer des quarts de siège. Comment gérer le problème de l’arrondi ? Au Maroc, on utilise la méthode du “plus fort reste”. On commence par définir la valeur d’un siège, le fameux quotient électoral : combien faut-il de voix pour gagner un siège ? Il y a beaucoup de manières de définir ce quotient — c’est justement ce dont discutent les politiciens aujourd’hui — mais à l’heure actuelle, on utilise au Maroc une méthode très simple : on divise le nombre de voix valides (donc hors votes blancs ou nuls) par le nombre de sièges. S’il y a 2 sièges en jeu et 100 voix au total, un siège vaut 100 / 2 = 50 voix. Disons que lors de cette élection, le parti A remporte 60 voix, le parti B 30 voix, et le parti C 10 voix.

Le  parti A remporte le premier siège. Mais qui va remporter le deuxième siège, vu qu’aucun des partis n’a obtenu les 50 voix nécessaires ? C’est là qu’on regarde les restes. Il reste 10 voix au parti A, 30 voix au parti B, et 10 au parti C. On donne le siège restant au parti B, qui a le “plus fort reste”.

Les effets de la réforme

La réforme en discussion est de définir le quotient électoral en utilisant non pas le nombre de bulletins valides mais le nombre d’inscrits sur les listes électorales. Parmi les inscrits, certains ne vont pas voter (les abstentionnistes), et parmi ceux qui vont voter, certains n’expriment pas de votes valides (les votes blancs ou nuls). La conséquence, c’est que la valeur d’un siège augmente. Prenons notre circonscription imaginaire, et supposons qu’il y ait 200 inscrits. Avec la réforme, le quotient électoral passe de 50 à 100. Aucun des partis ne gagne de sièges au premier round, et, quand on considère les restes, le parti A gagne le premier siège, et le parti B gagne le deuxième siège. Dans notre circonscription donc, pas de problème : la nouvelle règle ne change pas l’issue de l’élection. En principe, c’est possible, parce qu’en rendant les sièges plus coûteux, la règle favorise un passage au deuxième round, où les plus petits partis ont plus de chance de gagner des sièges.

Quel serait l’effet de cette réforme ? Pour répondre à la question, nous avons répété les dernières élections, celles de 2016, et regardé comment les sièges auraient été attribués avec ces nouvelles règles. Trois conséquences importantes en résulteraient.

1. La réforme bénéficie aux petits partis

Comme prévu, la règle bénéficie aux petits partis, et désavantage les partis plus importants (cf. graphique). Une conséquence majeure : ces petits partis permettent aux plus grands partis d’obtenir les 50% nécessaires pour avoir la majorité et former le gouvernement. Ce faisant, ils ont un impact sur l’agenda du gouvernement bien supérieur à leur poids électoral. En augmentant leur poids, on augmente aussi leur pouvoir de négociation.

2. La réforme change la composition du gouvernement

Parmi les grands partis, la réforme fait que c’est maintenant le PAM et non pas le PJD qui ait la majorité des sièges. Car, bien que le PJD et le PAM aient tous les deux beaucoup de voix, celles du PAM sont réparties sur tout le territoire, alors que celles du PJD sont concentrées surtout dans les grandes villes. La réforme, qui augmente le poids des partis qui arrivent 2e ou 3e, avantage ainsi le PAM. Bilan : avec cette réforme, on aurait eu un Chef du gouvernement issu du PAM plutôt que du PJD.

3. La réforme pose problème pour la constitution de la liste nationale

Lors des élections législatives, les Marocains élisent à la fois les députés de leur circonscription et les 90 députés qui constituent les listes nationales. Le quotient électoral classique garantit que lorsqu’on passe aux sièges attribués selon les restes, il y ait moins de sièges que de partis, ce qui fait que l’on attribue un siège par parti au plus fort reste. Avec la réforme, ce n’est plus le cas. De fait, dans nos simulations, en ce qui concerne la liste des femmes, seuls 18 sièges sont attribués au quotient électoral, laissant 42 sièges vacants pour 8 partis en lice. Ce cas de figure n’étant pas prévu par le scrutin proportionnel au plus fort reste, nous avons exclu la liste nationale de nos simulations. Ceci dit, si nous choisissons d’introduire cette réforme, nous devrions nous interroger sur la procédure à adopter dans ces cas de figure.

Les limites de l’exercice

Evidemment, les simulations que nous avons conduites ne donnent qu’une indication de ce qui pourrait se passer lors des élections de 2021. En interprétant ces résultats, il y a trois précautions à prendre. La première est que, comme mentionné plus haut, nos estimations ne prennent pas en compte la liste nationale, car la nouvelle règle crée un cas de figure inattendu, dans lequel il y a plus de sièges à distribuer au plus fort reste qu’il n’y a de partis éligibles. La deuxième est que les partis vont évidemment modifier leur stratégie de campagne en réponse aux changements des règles. En particulier, il est fort possible que les plus grands partis fassent un effort de campagne plus important pour compenser le désavantage créé par la nouvelle règle. De même, on peut anticiper que le PJD décide de diffuser sa campagne sur l’ensemble du territoire, pour contrer l’avantage donné au PAM par ce mode de scrutin. La dernière limite de notre exercice est que les données que nous avons utilisées ne sont pas fiables. Le ministère de l’Intérieur n’a pas publié le nombre d’inscrits dans les circonscriptions législatives et nos demandes pour accéder à ces chiffres sont, à ce jour, restées lettre morte. Pour pallier ce problème, nous avons utilisé deux approximations. La première consiste à utiliser, au lieu du nombre d’inscrits, la population en âge de voter (donc le nombre de Marocains de plus de 18 ans vivant dans la circonscription, calculé grâce au recensement de 2014). La deuxième consiste à utiliser le nombre d’inscrits lors des élections législatives de 2011, des chiffres que le ministère de l’Intérieur avait publiés à l’époque. Heureusement, les deux approches donnent des résultats identiques, à un siège près. Nous espérons que le ministère répondra rapidement aux requêtes de droit d’accès à l’information. Alors que les élections approchent, il serait souhaitable de pouvoir disposer des résultats complets des précédentes élections, pour pouvoir prendre ce genre de décisions importantes de manière plus informée.

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