Algérie, Maroc, Tunisie… de plus en plus de jeunes veulent émigrer en France

Les retombées massives de la pandémie de Covid-19 sur l’économie du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie suscitent des envies d’Europe chez les jeunes, souvent déçus par ailleurs par la politique au Maghreb.

Au Maghreb, les jeunes rêvent d’émigrer en Europe… mais la France, l’Italie et l’Espagne montent au créneau face au spectre de l’immigration clandestine. Entre “désespoir” politique et “désillusion” sur l’économie après les lourdes conséquences de la pandémie de Covid-19, de plus en plus de jeunes du Maghreb sont candidats au départ… notamment pour l’Europe de l’Ouest et du Sud, mais les grandes économies de la zone euro sont déterminées à lutter contre la migration clandestine. Elle figure au coeur de la visite du ministre français de l’Intérieur Gérard Darmanin cette fin de semaine à Rabat. Elle était aussi en tête des priorités du chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez et de la ministre italienne de l’Intérieur Luciana Lamorgese lors de leurs récents déplacement à Alger. L’Italie mène parallèlement des échanges très fermes avec Tunis, où le niveau des départs clandestins a atteint cet été un niveau sans précédent depuis 2011, année de la révolution tunisienne.

“Le premier facteur des départs au Maroc, c’est la dégradation de la situation économique, en Algérie c’est le désespoir lié à l’échec de changement politique et, en Tunisie, la désillusion face l’absence de perspectives politiques et économiques”, estime Ivan Martin, chercheur espagnol spécialiste des migrations. Selon une récente étude indépendante publiée à Dubaï, près de la moitié des jeunes du monde arabe envisagent de quitter leur pays (47% en Afrique du Nord), dont un tiers en lien direct avec l’impact économique de la crise sanitaire.

Dans une région marquée par un des taux de chômage des jeunes les plus forts au monde, gagner sa vie reste pour cette frange de la population une grande priorité. Elle devient encore plus difficile du fait de la crise liée à la pandémie, d’après cette étude annuelle conduite par l’agence Asda’a BCW. “Chaque fois qu’il y a une crise, cela pousse les jeunes à partir”, note l’anthropologue Chakib Guessous. Selon lui, le questionnement personnel pendant les mois de confinement strict, ajouté à la paupérisation avec la crise a catalysé au Maroc les pulsions de départ, surtout chez les plus diplômés, quand bien même la situation en Europe est également difficile.

En Tunisie aussi, “parmi ceux qui partent, il y a de plus en plus de diplômés”, dont beaucoup “ont un emploi précaire”, dit Romdhane Ben Amor, du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES). En Algérie, où le pouvoir a hermétiquement bouclé toutes les frontières et s’efforce d’étouffer le mouvement de contestation (Hirak), “il y a une recrudescence sans précédent” des départs de jeunes qui “ne se projettent plus dans le futur de ce pays”, selon Me Kouceila Zerguine, spécialiste algérien en droit de l’immigration. n septembre, plus de 1.200 clandestins ont été interceptés au large des côtes algériennes en dix jours. Et si les arrivées des migrants sur les côtes espagnoles ont globalement chuté de moitié sur les huit premiers mois de 2020, les Algériens représentent désormais les deux tiers des arrivées, devant les Marocains, selon l’agence européenne Frontex.

Pendant sa visite, le ministre français veut aussi aborder la question des mineurs isolés: “je me rends au Maghreb (….) pour régler le problème, qui relève notamment des pays du Maghreb” eux-mêmes, a-t-il annoncé fin septembre. “Cela fait partie du +marketing politique+” sur l’immigration en Europe, affirme Ivan Martin. Il souligne qu’aucun pays européen n’a jamais réussi à “régler” cette question délicate assujettie à plusieurs textes protégeant les mineurs, dont la Convention internationale des droits de l’enfance.

D’après le chercheur, ce “marketing” sous-tend les discours préconisant un durcissement des contrôles aux frontières extérieures, alors que les mesures en place ont déjà permis une très forte baisse des entrées irrégulières dans l’UE (-92% en 2019 par rapport au pic de 2015 et -14% sur les 8 premiers mois de 2020, comparé à la même période en 2019, selon Frontex). Pour lui, la question la plus problématique reste celle des retours, du fait de la lenteur des procédures administratives et des coûts induits, avec un effet d’accumulation lié à la paralysie des transports du fait de la pandémie. Que les migrants soient mineurs ou pas, “la seule solution serait d’agir en amont, qu’ils n’aient pas envie de partir”, souligne Chakib Guessous, en écho des demandes d’aides régulièrement formulées par les pays du Maghreb pour juguler les flux clandestins.

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