Oui à l’attribution à Nasser Zefzafi du Prix Sakharof pour la liberté de l’ esprit

Nasser Zefzafi

Le Parlement  Européen annoncera jeudi prochain 25 octobre le nom du  lauréat du prix Sakharov pour la liberté de pensée au titre de l’année 2018. Nasser Zefzafi,  l’un des leaders les plus éminents du mouvement social de la région Marocaine du Rif fait partie des trois   candidats à cette immense distinction. Son éventuelle victoire pourrait constituer une importante victoire pour les droits de l’Homme au Maroc et un signal  d’avertissement suite aux maladresses commises par les autorités marocaines dans leur gestion de ce dossier et qui pourraient un jour entraîner une crise grave avec la communauté internationale.

La candidature de Nasser Zefzafi a pu réussir lors des deux premières étapes du processus de désignation : La première étape avait réuni des  dizaines de candidats et la seconde n’en a gardé que huit près le filtre de la première. En arrivant à ce stade ultime, la candidature de Zefzafi se trouve au coude à coude avec deux autres candidatures de poids : un collectif  d’associations non gouvernementales qui œuvrent pour sauver les victimes de l’immigration clandestine en Méditerranée et le réalisateur ukrainien Oleg Sentsov.

L’État Marocain  tente, à travers les médias marocains qui lui sont soumis, de mettre en doute le sérieux de la candidature de Zefzafi et présenter son éventuel succès  comme une trahison envers la patrie, mais cette posture n’a aucune crédibilité dans la mesure où le Maroc fait partie de la communauté internationale et entretient des relations étroites avec l’Union européenne, culturelles, économiques et politiques et se trouve présent dans les instances internationales. Nous sommes au XXIe siècle et le monde progresse vers une plus grande interaction entre ses composantes gouvernementales et civiles.

En conséquence, l’État marocain ne peut pas agir avec sélectivité  dans ses relations avec l’Union européenne : d’une part, accepter l’aide financière européenne, y compris celle destinée à lutter contre la corruption et réformer le système judiciaire et en même temps s’opposer à une distinction accordée à l’un de ses citoyens  par le Parlement Européen qui est l’institution de l’Union européenne qui incarne la souveraineté des citoyens européens. C’est pourquoi cette situation est une grave contradiction : Oui pour l’argent et non pour les valeurs de solidarité.

En vérité l’accusation de trahison est l’arme des lâches qui veulent camoufler  la corruption et le détournement des biens du pays. Dans un passé pas si lointain le  défunt roi Hassan II accusait de trahison tous ceux qui osaient évoquer le terrible centre de détention de Tazmamart, mais la pression européenne et internationale ont fini par  révéler au monde entier l’existence de ce terrible camp pire que médiéval. Aujourd’hui, il y a des raisons logiques et objectives pour que tout défenseur des droits de l’Homme aspire à ce que Nasser Zefzafi obtienne le prix Sakharov, et que le  journaliste Hamid Mahdaoui, candidat au Prix du courage décerné par Reporters Sans Frontières, remporte cette distinction.

Une victoire de Zefzafi va honorer toute l’histoire des luttes du peuple marocain pour la liberté et la justice  en honorant le Hirak , ce mouvement de protestation du Rif qui dure depuis de longs mois mobilité sans aucun acte de violence, ce qui témoigne de la   prise de conscience populaire de l’importance du militantisme pacifique.

La deuxième raison est  la nécessité de l’ouverture de ce Prix sur  la rive sud de la Méditerranée, principalement la zone Arabo-Amazigh, Ce prix permettra de renforcer les liens des valeurs entre les peuples d’Europe et ceux  du grand Maghreb, il ne serait pas très logique que le Comité choisisse des candidats de certaines zones géographiques éloignées et ignore, pour des raisons de politique politicienne misérable et suite à la pression des gouvernements de Paris et Madrid,  la lutte des peuples qui se trouvent à la frontière sud de l’Union européenne.

Dans le même temps, une victoire de Zefzafi comportera un message pertinent  à l’État marocain sur la nécessité d’abandonner la stratégie de la conspiration et le traitement purement sécuritaire  lorsqu’il gère les questions sociales. L’Etat a commis une grande faute en accusant les militants du Hirak de velléité sécessionniste au lieu de répondre  aux revendications légitimes du mouvement de protestation (la construction d’un hôpital et d’une Université et des emplois pour les jeunes chômeurs du Rif). Nous sommes au 21ème siècle et la justice marocaine condamne les militants du Rif à  20 ans de prison ferme en raison de revendications sociales légitimes.

L’Etat marocain semble ne pas avoir compris que son approche purement sécuritaire crée un fort sentiment de colère chez toute la communauté rifaine et encourage l’émigration clandestine pour échapper aux procès et aux sentences très sévères avec toutes les conséquences dramatiques comme les noyades de jeunes en pleine mer . Cette approche a également poussé  des milliers de jeunes marocains à demander l’asile politique dans divers pays européens. Nous nous posons encore la question : Est-il raisonnable d’ordonner l’arrestation de plus de 800 jeunes de la zone du Rif ( ville d’Al Hoceima en particulier, d’où est originaire Zefzafi) pour de simples revendications sociales ?

Oui, le  Maroc connaît un recul des libertés, en plus des  arrestations dans le Rif, nous assistons à des procès  basés sur des accusations étranges comme dans le cas du journaliste Hamid Mahdaoui, fondateur du journal numérique badil.info, qui a été  condamné à trois ans de prison sur la base d’une accusation plutôt fictive : il n’a pas informé les autorités publiques après avoir   reçu un appel téléphonique d’un correspondant anonyme qui prétendait vouloir envoyer au Rif des chars russes pour soutenir les protestations et provoquer l’insurrection généralisée. Avez-vous déjà entendu parler de quelqu’un qui va acheter des chars de combat en Russie et les faire traverser toute l’Europe et notamment  tout le territoire Espagnol pour les faire arriver au Maroc sans être inquiété ? Est ce que les chars se vendent maintenant dans les supermarchés et se transportent dans la poche comme une boîte de bonbons ?

Citons encore le cas du journaliste Taoufik Bouachrine, fondateur du quotidien arabophone Akhbar Alyaoum, qui se distingue par ses chroniques sérieuses, accusé de  trafic d’êtres humains sans que son procès ne bénéficie des conditions d’un procès équitable. Les exemples de violations des droits sont nombreux et sont souvent dénoncés dans leurs rapports  par les associations internationales comme Amnesty international, Reporters sans Frontières ou nationales comme l’Association Marocaine des Droits Humains.

Le roi Mohammed VI a reconnu lui- même dans un discours à la nation l’échec du modèle de développement adopté par le pays et l’existence de flagrants disparités sociales et la mauvaise répartition des richesses en s’interrogeant : « Mais où se trouvent les richesses  de ce pays ? Je ne les vois point lors de mes visites et mes tournées ! » . il est temps qu’il reconnaisse, comme il l’avait admis en 2005, le recul du pays en matière de respect des droits.

L’attribution du prix Sakharov pour la liberté de pensée à Nasser Zefzafi, porte drapeau de la lutte du Rif, ne constitue jamais une menace pour les relations maroco-européenne mais apportera  une touche de franchise nécessaire pour que le Maroc officiel envisage de changer sa politique en matière de droits de l’Homme et abandonne le réflexe du complot e dans le traitement de questions  de nature sociale et un rappel que le vrai ennemi de la nation est la grande corruption qui gangrène tous les rouages de l’Etat marocain et provoque des drames comme la mort gratuite des jeunes candidats à l’émigration clandestine, par noyade en mer Méditerranée.

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