Si Cervantes était vivant aujourd’hui au Maroc, il aurait préféré apprendre la langue de Molière ou celle d’Al Moutanabi plutôt que l´espagnole

Traduit par Ahmed Benseddik

Les responsables espagnols se plaignent du déclin de la langue espagnole au Maroc et de la domination culturelle de la langue française mais ils ne s’interrogent pas sur les raisons de ce phénomène, qui découle en particulier de l’absence de perspectives pour ceux qui apprennent cette langue et de la politique des visas qui est devenue le plus grand obstacle à la propagation de la langue de Cervantes.

En janvier dernier, le journal El Pais a publié un reportage sur le recul de la langue espagnole au Maroc, appuyé par la baisse du nombre d’étudiants dans les sections espagnoles des universités Marocaines et qui recule d’année en année de façon spectaculaire.

La déclaration d’un étudiant ayant obtenu la licence en langue espagnole illustre la tragédie de cette langue au Maroc : « j’aurais du m’inscrire en droit et étudier la langue espagnole par mes propres moyens. Mes amis qui ont obtenu la licence en espagnol travaillent soit en tant que traducteur de la langue française soit ont complètement changé d’itinéraire. »

De la concurrence française à la défaite devant l’Ukraine 

L’Espagne est fière d’avoir six centres culturels « Instituto Cervantes » qui enseignent l’espagnol au Maroc, dans les villes de Tétouan, Tanger, Rabat et Casablanca, Marrakech et Fes, mais cette abondance de centres culturels ne se reflète pas par une bonne présence de l’espagnol dans la vie publique marocaine (éducation, tourisme et culture). Bien au contraire on constate un recul de cette langue même au nord du Maroc qui était par le passé le bastion historique de cette langue en raison du passé colonial et de la proximité géographique avec l’Espagne.

L’actuel directeur du réseau des centres culturels Cervantes au Maroc, Javier Galvan , a déclaré au journal numérique : « il y a une véritable hémorragie de la position de la langue espagnole au nord du Maroc ».

Parmi les critères permettant d’évaluer l’influence et le rayonnement d’une langue d’un pays donné on peut citer le nombre d’étudiants étrangers qui viennent des pays voisins pour y terminer leurs études.

L’Espagne a cherché à rivaliser avec la France à cet égard, mais les chiffres sont peu concluants. En comparaison, l’Agence française pour la promotion de l’enseignement du français a révélé que le nombre d’étudiants marocains en France au cours de la saison dernière n’a pas dépassé 38 000 étudiants, sans compter les enfants d’immigrants ou naturalisés résidant dans ce pays.

Le nombre d’étudiants marocains en Espagne n’est pas facilement disponible auprès des sources espagnoles mais Alifpost a pu obtenir les chiffres suivants : ils ne seraient pas plus de 2000 étudiants alors que le nombre d’étudiants marocains en Ukraine est supérieur, où ils seraient quelque 4000 étudiants durant l’année universitaire actuelle. Les raisons invoquées de cet engouement pour l’Ukraine lointaine sont le facilité d’obtention du visa et la bonne qualité des études.

Une politique des visas nuisible pour la langue de Cervantes:

Lorsque nous avons demandé à des étudiants marocains pourquoi ils n’avaient pas choisi des universités espagnoles, la réponse a été : « il y a trois chances d’être accepté dans une université de l’Europe de l’ouest et cinq à six chances d’être accepté dans une université de l’Europe de l’Est et moins d’une chance d’être accepté dans une université espagnole. Les étudiants évoquent également l’absence de bourses d’études et la politique très restrictive de l’Espagne en matière de visas et la domination des réflexes sécuritaires chez les consulats espagnols surtout dans les villes nord du Maroc comme Nador et Tétouan. Un étudiant a eu cette réflexion : « Regardez l’avenir des Marocains qui étudient en France, ils décrochent plus facilement des postes d’emploi après leur diplôme et comparez avec ceux qui ont étudié en Espagne »

Un citoyen de Tétouan a déclaré à Alifpost « j’ai une grande affinité pour la culture Espagnole et j’avais inscrit mes enfants à l’école espagnole, mais au cours de l’année dernière je les ai remis dans l’enseignement public marocain parce que je me rends compte que quand ils arrivent au niveau universitaire ils leur sera difficile de terminer leurs études dans les universités espagnoles en raison des conditions injustes imposées par le Consulat d’Espagne. Cette attitude rigide de la diplomatie espagnole montre qu’elle manque d’intelligence. »

En effet , une langue qui perd son attrait dans le domaine de l’enseignement et recule dans la vie publique d’un pays donné est une langue qui n’a plus aucun avenir dans ce pays.

Un jeune licencié en Espagnol de l’université de Tétouan décrit le manque de perspectives au Maroc pour les diplômés des universités espagnoles en ces termes ironiques : « Si Cervantes était vivant en ce moment au Maroc, il aurait préféré apprendre la langue de Molière ou celle d’Al Moutanabi ou même l’Amazigh plutôt que l’Espagnol ».

Sign In

Reset Your Password