Le ministère de l’Intérieur marocain a refusé de réceptionner le dossier de constitution de l’association “Freedom Now” en recourant une justification singulière qui repose sur un concept théocratique semblable à ceux en vigueur dans la législation Iranienne. En effet, le ministère a brandi l’argument de la présence au sein du bureau exécutif de l’association d’Ahmed Benseddik, l’ingénieur qui a déclaré publiquement en 2011 qu’il retirait son allégeance au roi, commandeur des croyants.
L’Association Freedom Now a été fondée en avril dernier, en vue de défendre la liberté de la presse et d’expression sous toutes ses formes, en raison de la recrudescence des violations et des intimidations commises par les pouvoirs publics. Une fois fondée, le ministère de l’Intérieur a refusé de réceptionner son dossier légal de constitution, ce qui a poussé ses fondateurs à s’adresser au tribunal administratif en mai dernier. Dans son mémorandum au tribunal, l’avocat du ministère a brandi une explication pour le moins curieuse : un membre du bureau exécutif de l’association, Rida Benotmane, a été jugé en 2007 dans le cadre de la loi antiterroriste, et un autre membre, l’ingénieur Ahmed Benseddik, a retiré son allégeance au roi.
La justification de l’Etat marocain soulève des questions de fond. Rida Benotmane, selon les organisations des droits de l’homme, y compris le très officiel Conseil National des Droits de l’Homme, a été victime d’un procès inéquitable, et sa condamnation à quatre ans de prison ne comporte nullement qu’il est déchu ou privé de ses droits civiques. Comment gober cet argument de l’Etat alors que des prédicateurs salafistes ont été condamnés à des peines de prison de plus de vingt ans mais n’ont jamais été privés de leurs droits civiques.
Dans le cas d’Ahmed Benseddik, son acte de retrait d’allégeance exprimé dans sa célèbre lettre ouverte au roi en juillet 2011, est expliqué selon lui comme une réaction après avoir considéré que le roi, commandeur des croyants, a été injuste avec lui, complice par son silence des injustices qu’il a subies et n’a rien fait pour le réhabiliter. D’ailleurs, Ahmed Benseddik n’a jamais été jugé pour son acte.
L’attitude de l’Etat marocain soulève cette question : Faut-il priver de leurs droits civiques les centaines de milliers de membres de la Jamaa Al Adl wal Ihsssane (Justice et Spiritualité) qui ne reconnaissent pas au roi sa qualité de Commandeur des Croyants et contestent l’acte d’allégeance au roi dans son essence, alors que des milliers d’entre eux sont actifs dans les associations de la société civile?
En raison de la sensibilité du sujet, un chercheur en droit constitutionnel marocain, qui a préféré garder l’anonymat, a déclaré à Alifpost : “On ne peut priver quiconque d’exercer ses droits civils en l’absence d’un jugement clair et explicite. Si l’on applique le raisonnement du ministère de l’Intérieur, tout laïque qui conteste la commanderie des croyants, tout en reconnaissant au roi sa qualité de chef de l’Etat au sens moderne, devra être privé de ses droits civiques. C’est la deuxième faute grave commise par l’Etat, la première a eu lieu l’année dernière quand il a autorisé le Conseil Supérieur des Oulémas à émettre une fatwa qui dit que l’apostat mérite la peine de mort, avant qu’il (l’Etat) ne recule et tente de corriger cette bévue. Maintenant le tribunal administratif se trouve dans une situation embarrassante car s’il suit l’argumentaire de l’avocat de l’Etat, il va encourager l’instrumentalisation abusive de la religion dans de nombreux dossiers épineux “.