L’institution militaire dans le monde arabe est devenue un acteur déterminant dans la deuxième phase du printemps arabe, mettant fin à la dictature en Algérie et au Soudan. Elle pourrait peut-être jouer le même rôle dans d’autres pays, voire être garante de la démocratie contre tout retour de l’usurpation du pouvoir par les rois et les présidents.
Dans le monde arabe, il n’y a pas de sociologie de l’armée, il n’y a presque pas d’études qui traitent des différentes étapes des armées arabes, de l’indépendance au printemps arabe. C’est un sujet tabou par excellence dans les universités arabes.
En réalité, l’institution militaire dans le monde arabe subit des changements silencieux, qui se consolident avec le temps. Dans le passé, il était synonyme de coups d’État comme l’Égypte, la Syrie, la Libye, les Soudan, la Mauritanie. Maintenant, la situation est différente.
Il y avait une exception, l’histoire militaire arabe réserve une place d’honneur au général soudanais Siwar Adahab, perpétua un coup d’Etat en 1985 contre le dictateur Jaafar Numairi, et en 1986 passa le pouvoir à un président civil. Ce geste historique n’a pas eu un grand impact pour deux raisons : d’une part, il y a eu un autre coup d’Etat mené par le général Omar Bachir, et d’autre part, dans les années 1980, il n’y a eu aucun mouvement pour la démocratie dans le monde arabe.
20 ans plus tard, il y a eu un autre geste de ce genre. L’armée mauritanienne a évincé le président Mouhaouia Ueld Tayah en 2005. Deux ans plus tard, il a transféré le pouvoir à un président civil, Mohamed Ueld Chij Abdelah. Ces derniers ont commis de graves erreurs, notamment en islamisant l’administration, et l’armée a procédé à un autre coup d’État mené par Mohamed Ben Abdel Aziz. Ce général n’a pas établi une dictature mais un régime semi-démocratique et abandonnera le pouvoir à la fin de sa législature.
L’éclatement du printemps arabe ne peut être compris sans un fait d’une importance énorme. C’est la décision du général tunisien du 11 janvier 2011 de rejeter l’ordre du président Zin Abidin Ben Ali de réprimer les manifestants. La position d’Amar a été déterminante dans la décision de Benali de s’échapper vers l’Arabie Saoudite.
L’armée égyptienne a adopté la même position, laissant tomber le président Hosni Moubarak. Malheureusement, le ministre de la Défense, le général Abdelfatah Sissi, a perpétué un coup d’État contre le président élu Mohamed Mourci. Sissi est plus un homme des services secrets qu’un officier de l’armée. Le rôle des services secrets dans le monde arabe est toujours négatif.
Nous assistons actuellement à la deuxième phase du printemps arabe. L’acteur déterminant avec le peuple c´est l’institution militaire. En Algérie, l’armée a forcé le président Bouteflika à démissionner. Et la même chose s’est produite au Soudan, l’armée a chassé Omar Bashir après 30 ans d’occupation de la présidence. Cela engendre un débat intéressant, une opinion qui demande la confiance dans l’armée parce que les temps changent. Et une autre opinion exprime sa méfiance en alléguant le sombre passé de l’armée dans le monde arabe.
Les faits parlent d’eux-mêmes, l’institution militaire en Algérie et au Soudan a fait preuve de maturité politique. L’armée algérienne cherche une formule qui consiste à respecter la Constitution mais aussi à répondre aux demandes légitimes du peuple. Pour sa part, les Soudanais sont déterminés à ouvrir la voie à la démocratie, les mesures qu’il a prises confirment cette tendance.
Dans notre livre “Révolution pour la dignité dans le monde arabe” (Icaria 2012) qui traite du rôle de l’institution militaire au printemps arabe, nous avons étudié certains éléments qui indiquent que les armées défendront éventuellement la démocratie. Nous citons ce qui suit :
Tout d’abord, il y a une relation de plus en plus fluide entre les militaires et les civils. Autrefois, les soldats et leurs familles vivaient dans des quartiers isolés, mais au cours des 20 dernières années, ce phénomène a disparu. Les soldats vivent au sein de la société civile. Ce contact génère de l’influence et des échanges entre les deux parties. Maintenant, les problèmes des citoyens sont les mêmes que ceux des soldats.
Deuxièmement, dans le passé, le soldat était naïf, sans niveau culturel. Pour le régime, c’était facile à contrôler. Aujourd’hui, c’est le contraire qui est vrai : la plupart des soldats ont un diplôme d’études secondaires ou ont étudié à l’université. Ils ne veulent donc pas être un simple instrument de répression.
Troisièmement, les soldats sont de plus en plus conscients qu’ils sont au service de régimes dictatoriaux et corrompus et non au service du peuple. Le sentiment général est que ces soldats ne veulent pas continuer dans cette tâche et qu’ils ne veulent pas non plus être un instrument entre les mains de la dictature pour réprimer le peuple. Au Soudan, ce sont les soldats qui ont exigé des changements et non les officiers supérieurs.
Enfin, les régimes dictatoriaux sont de plus en plus conscients du malaise au sein de l’armée. Pour cette raison, ils comptent beaucoup plus sur les services secrets lorsqu’il s’agit de réprimer la population.
Le rôle des armées tunisienne, algérienne et soudanaise marque le début d’une nouvelle étape dans l’histoire de l’institution militaire arabe. Les militants politiques doivent ouvrir un dialogue avec les armées. Parce que tôt ou tard, les armées arabes seront le garant de la démocratie et le meilleur instrument pour mettre fin aux abus des dictatures.